Les personnalités collectives de la Martinique et de la Guadeloupe
- insularite
- 9 juin 2009
- 10 min de lecture
Dernière mise à jour : 13 juin 2024
Mémoire soutenu le 9 juin 2009 sous la Direction de Jean-Claude Bruneau
Sont disponibles sur cette présente page : l'introduction, le sommaire, ainsi que la conclusion du mémoire de recherche. Deux versions pdf de celui-ci sont disponibles ci-après : la première étant la version initiale de 2009 relue en 2024 ; la seconde étant la version initiale de 2009, augmentée avec des rajouts de 2024.
Introduction
Le développement des territoires doit prendre en compte les réalités locales du pays. Ainsi, la Décentralisation apparue en France depuis 1982-1983 et instituée par les « Lois Defferre » répond bien à cet objectif en donnant aux acteurs locaux la possibilité d’énumérer avec précision les difficultés auxquelles ils sont confrontés et de proposer des solutions qui reflètent les réalités locales. Cette loi fut complétée en 2004 par celle des « Libertés et Responsabilités locales » qui donne aux collectivités locales de plus amples moyens de décision et d’action. Elle s’applique à tous les départements et régions français y compris ceux d’Outre-mer (qui cumulent deux statuts).
Les Outre-mer français, qui souvent mettent en avant leurs spécificités ou particularités locales par rapport aux autres collectivités hexagonales, sont souvent accusées d’une part, d’exagérer leurs revendications au prétexte de ces spécificités territoriales, d’autre part d’être incapables de définir clairement celles qui pourraient justifier d’un traitement particulier de leur situation. La première particularité qui pourrait jouer en faveur d’aménagements institutionnels est l’éloignement géographique des DOM par rapport au centre de décision qu’est la France, et plus précisément Paris. En effet, la lenteur de la mise en place des décisions est souvent mise en cause. Ainsi il existe bien une distance géographique entre les centres de décision et les territoires d’action, mais malgré l’amélioration des moyens de communication et de transport, les lenteurs administratives persistent.
En plus de l’éloignement géographique, les représentants des DOM évoquent régulièrement l’éloignement culturel, ce qui a fait dire à Monsieur Jean-Pierre Doumenge (2003) que « les ultramarins convertissent ainsi leur éloignement géographique d’avec la métropole et les références ethniques particulières en distance culturelle ». C’est dans cette mesure, selon lui, que s’instaurent des rapports de force ‘dominé-dominant’ entre les responsables politiques locaux et l’Hexagone, dont la culture est encore qualifiée de « coloniale et imposée ».
Pour cet auteur, les rapports de force qui existent seraient des « stratégies de harcèlement » de la part des ultramarins, c’est-à-dire en réalité une habile culpabilisation tant vis-à-vis du pouvoir central que « des représentants en poste localement », dans le but de justifier le versement de subventions (ou « ressources financières métropolitaines ») et de s’assurer du maintien d’un bon niveau économique par rapport aux autres îles indépendantes de la Caraïbe. Notons que cette stratégie de culpabilisation ne serait pas le seul fait de la Martinique et de la Guadeloupe, mais aussi d’autres collectivités d’Outre-mer : les « réactions xénophobes » peuvent instrumentaliser ainsi les « brimades de l’esclavage » comme en Martinique, en Guadeloupe, enGuyane et à la Réunion, ou celles « du travail forcé » comme en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie Française, voire celles « du bagne » comme en Guyane et en Nouvelle-Calédonie. Ce sont là les relations entre la France et les îles d’outre-mer.
D’ailleurs, le rapport de force le plus récent est celui manifesté lors des grèves générales contre la vie chère qui ont débuté en Guadeloupe le 26 janvier 2009 et en Martinique le 5 Février 2009, mais qui en réalité trouvent leur origine dans une grève contre la hausse du prix du pétrole en Guyane, en Décembre 2008. Au départ de nature économique, le mouvement est vite devenu social et même sociétal ou identitaire, c'est-à-dire culturel. Economique, car une production endogène quasi nulle fait que les exportations sont ici de loin inférieures aux importations. Social, dans la mesure où sont du même coup mises en évidence les disparités entre les départements hexagonaux et les quatre départements d’Outre-mer : un chômage des jeunes qui est en moyenne de plus de 50 %, et un chômage global qui oscille entre 21% (en Guadeloupe) et 25 % (à la Réunion). Sociétal enfin, car des rapports de force ont vu le jour entre les différentes communautés composant la société locale. En témoigne ce slogan en créole, vite passé d’une île à l’autre : « Gwadloup cé tan nou, la Gwadloup cé pa ta yo », puis « Matnik cé tan nou, Matnik cé pa ta yo ». C’est-à-dire : « la Guadeloupe (la Martinique) nous appartient, elle n’est pas la leur.
Traiter de la culture en Martinique ou en Guadeloupe (au niveau local) revient souvent à parler de la crise identitaire qu’elles traversent depuis quelques années. Crise identitaire pour certains, quête d’identité pour d’autres, il existe bien un malaise de la population dans son rapport à son territoire, à son histoire, à sa réalité contemporaine qui est sa dépendance politique, administrative et économique avec la métropole française. Depuis les années 1990, on remarque un regain pour la culture locale à travers la redécouverte des patrimoines matériels et immatériels : certains préféreront parler d’une construction plutôt que d’une redécouverte patrimoniale. Le fait est que la mise en valeur de ce patrimoine apparaît alors comme un processus excluant et diabolisant toute culture étrangère, particulièrement celle venant de France, appelée culture coloniale. On leur oppose alors le concept d’évolution de la culture qui est inévitable dans toute civilisation moderne intégrant des éléments extérieurs par l’intermédiaire des échanges mondiaux ; c’est aussi une évolution indispensable pour certains qui y voient une condition nécessaire pour éviter qu’elle ne meure.
Les vrais rapports de force qui existent entre les îles et la France ne sont pas uniquement ceux que décrivait, d’ailleurs avec justesse, Jean-Pierre Doumenge en 2003 :
« l’idée subsiste que la métropole a toujours profité et profite encore de l’outre-mer plus qu’elle ne lui a donné et qu’elle ne lui donne. Il n’y a qu’à l’occasion de catastrophes naturelles qu’on invoque humblement l’aide de la « mère-patrie » au profit de la collectivité sinistrée, au nom de la continuité territoriale (…)».
L’étude de terrain que nous avons effectuée a révélé que le “combat“ à mener est un combat indirect à réaliser avec la France. Il ne s’agit pas pour les insulaires créoles de se liguer contre la “France dominatrice politiquement, économiquement et surtout culturellement“, mais de se replacer dans leur logique culturelle et de redéfinir ainsi une identité commune ou collective. Ceci, si l’on admet le point de vue suivant de à Jean-Pierre Doumenge :
« Un individu peut se réclamer concurremment de plusieurs cultures, mais une seule lui procure une identité officielle, généralement celle qui lui ouvre la voie à la citoyenneté. Elle lui offre la possibilité de participer à la vie publique en intégrant une nationalité, une synthèse de l’identité et de la citoyenneté au regard de la « modernité » européenne, en particulier en France. Lorsqu’un décalage existe entre l’identité qu’un groupe met en avant et la citoyenneté que ses membres voudraient exercer, par suite d’un déplacement massif ou de l’amputation de son territoire de référence, il y a généralement émergence d’une frustration. »
Nous y reconnaissons alors fort bien la situation des Départements insulaires français des Antilles, que nous avons choisis comme cadre d’étude. La frustration dont parle l’auteur se traduit généralement par des revendications, et des demandes de reconnaissance des politiques en poste.
Revenons aux concepts de base, et à leur application dans ces « espaces périphériques ». La politique est-elle censée organiser la vie d’une société ayant une culture unique, laquelle constitue en réalité son identité ? Prenons la définition du développement local, telle qu’énoncée en 1982 à Mâcon, lors des États généraux des Pays :
"Le développement local n'est pas la croissance, c'est un mouvement culturel, économique, social, qui tend à augmenter le bien-être d'une société. Il doit commencer au niveau local, et se propager au niveau supérieur. Il doit valoriser les ressources d'un territoire par et pour les groupes qui occupent ce territoire. Il doit être global et multidimensionnel, recomposant ainsi les logiques sectorielles".
L’élaboration d’un projet de développement pour les îles de la Martinique et de la Guadeloupe doit passer par une définition claire et précise des spécificités territoriales insulaires. Nous pouvons nous attendre à voir se définir ici, bientôt, une nouvelle culture et une nouvelle identité, dans la lignée des États généraux organisés dans les deux îles en réponse à la grève de janvier-février-mars 2009.
La problématique de départ est celle de l’étude des identités insulaires de la Martinique et de la Guadeloupe c’est-à-dire la mise en évidence des différentes personnalités collectives de chaque île. Nous répondrons à cette question en analysant les représentations de quelques étudiants sur les relations de leur communauté tant avec leur territoire insulaire qu’avec la France.
La première partie du mémoire s’intitule « Approche théorique de l’insularité et des territorialités insulaires » présente et définit les différents concepts qui nous permettront d’analyser notre étude de terrain de la seconde partie. Tout d’abord celui de l’insularité qui est la « volonté de se démarquer du modèle national dominant », celui du territoire métropolitain et de la culture nationale française. Ensuite celui de la territorialité qui est le rapport de la population au territoire : elle prend en compte à la fois les pratiques des individus et leurs représentations socio-spatiales. Le patrimoine qui est l’ensemble des éléments matériels et immatériels porteurs de la mémoire, de l’histoire et par conséquent de l’identité des populations. La créolité qui est un type particulier de formation anthropologique, suscite certains rapports au territoire que nous souhaitons étudier. Elle renvoie à la formation d’une population et de sa culture à partir de groupes de diverses origines. Cependant, à l’inverse du métissage comme parfait mélange homogène, la créolité reste diverse et permet de distinguer les différentes origines la constituant.
En quoi le fait d’être une île créole (par rapport à un continent qui serait créole, par exemple) forge-t-il une identité ? Nous sommes en effet partis d’un territoire particulier qu’est l’île, pour tenter de définir une identité spécifique dite insularité, caractérisée par un rapport tout aussi spécifique au territoire d’une société créole.
La seconde partie du mémoire intitulée « Perception et représentation des insulaires » est la présentation et l’analyse des enquêtes de terrains que nous avons effectuées auprès d’étudiants martiniquais et guadeloupéens vivant à Montpellier. L’étude s’est faite sur un échantillon de vingt étudiants dont quatorze Martiniquais et six Guadeloupéens, âgés de dix-huit à vint-cinq ans et résidant en France depuis au moins deux ans. Les entretiens ont duré en moyenne quarante-cinq minutes soit le temps minimum pour mettre l’interviewé en confiance et pour qu’il livre des informations suffisantes. Il s’agit pour lui, dans le cadre de la grille d’entretien, de dire s’il existe des symboles unificateurs, des mythes communs du patrimoine martiniquais qui seraient le lien identitaire commun. L’analyse des résultats devait révéler si ces symboles sont ceux d’un espace de vie (lieux pratiqués au quotidien) ou d’un espace vécu (lieux du territoire représentés mentalement), pour reprendre les termes d’Armand Frémont. Car on retrouve souvent, dans le discours des Antillais décrivant leur île ce mythe insulaire qui n’en retient que la description paradisiaque faite par les premiers aventuriers, et de nos jours encore ressassée par les publicités touristiques. Nos enquêtés ne retiennent-ils que des éléments « typiques », tels certains sites de vacances, ou donnent-ils des éléments de leur vie quotidienne faisant partie intégrante du patrimoine martiniquais mais peu abordables par des touristes ? Le résultat recherché est de déterminer la relation que la société antillaise entretient avec son territoire et ce qui la relie à son patrimoine. Prend-elle réellement sa part dans la forte valorisation du patrimoine observée depuis plusieurs années ? Existe-t-il un lien véritable entre la territorialisation et la patrimonialisation ? Ou celle-ci n’est elle que le fait des politiques et d’autres acteurs sociaux ?
Divers entretiens nous ont permis de recueillir le point de vue de deux spécialistes sur la situation identitaire de la société insulaire en Martinique et en Guadeloupe. Quels sont selon eux les différents éléments qui pourraient permettre de définir ici la mémoire collective ? N’est-ce pas le devoir aujourd’hui des politiques et des spécialistes de tout faire pour sortir cette société d’une crise identitaire qui l’empêche d’opérer une bonne (ou meilleure) ouverture sur l’extérieur ? – car faute d’une vraie lecture de son histoire, l’ouverture actuelle de la société antillaise tend à nier la culture autochtone. Il lui faut donc mieux se définir, pour bien se positionner face aux autres. Peut-être nos spécialistes seront-ils parvenus à donner des éléments permettantde sortir de ce conflit atavique.
Enfin la troisième partie s’intitule « Les Nouvelles territorialités multi-scalaires des insulaires martiniquais et guadeloupéens » et est l’analyse des pratiques et représentations des étudiants interrogés ainsi que l’élaboration de quelques réponses possibles à la question identitaire multiculturelle.
Sommaire
B. Images et représentations de la Martinique et de la Guadeloupe par les habitants de la métropole.
Conclusion finale
Au final, il existe un déterminisme territorial que nous disons historique car faisant référence à l’origine ethnique commune qu’est l’esclavage. Ce poids de l’histoire présent dans les relations des individus entre eux et avec leur territoire combiné au poids de l’insularité (exiguïté, isolement, éloignement et mauvaise desserte des transports en commun entraînant un fort sentiment de confinement) donne une identité insulaire essentiellement d’exterritorialité. En effet, de nombreux étudiants ressentent le besoin de quitter leur île, que l’on peut aussi appeler des mouvements centrifuges. En effet, les individus interrogés semblent être attirés par d’autres lieux géographiques. Il ressort alors des territoires et des territorialités spécifiques.
Leur identité est ainsi basée à la fois sur le territoire (l’île en tant qu’ensemble de plusieurs localités naturelles), et sur des réseaux en ce sens qu’ils voient comme échappatoire essentiellement les autres espaces à découvrir.
D’autre part, les territoires sont dans certains cas désocialisés : certains communautarismes se révèlent comme une hostilité vis-à-vis des populations, mais pas envers les cultures qui sont bien acceptées ainsi que les territoires rêvés : par exemple, la musique haïtienne, le Compa ; l’île de Sainte-Lucie est une île où beaucoup de Martiniquais se rendent pour faire leur courses ; la France, est porteuse d’ouverture, mais ne les reconnaît pas comme faisant partie intégrante de sa société.
Cependant, les cultures évoluent (tant les pratiques que les mentalités), de même que les identités changent, et donc cette représentation des personnalités collectives des individus évoluera. Pour cela, il reste impératif que les sociétés insulaires se réconcilient avec leur propre territoire, en acceptant leur histoire. Cette acceptation doit se faire à travers les débats, les manifestations, les représentations, et l’éducation. Le développement qui prévaut dans le cas des deux îles est avant tout un développement endogène.
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