Étude de cas : la REUT en milieu insulaire martiniquais
Pour bien comprendre les enjeux des projets de Réutilisation des Eaux Usées Traitées (REUT) dans les territoires, prenons donc l’exemple de la Martinique.
La Martinique, bassin hydrographique
Plusieurs rivières irriguent l’espace insulaire martiniquais.
Le principal bassin hydrographique est celui de la rivière de la Lézarde et de son affluent la Rivière Blanche : « 60 % des prélèvements Alimentation en Eau Potable (AEP) » en proviennent.
On distingue :
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au nord : type rivières de montagne
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au centre : La Lézarde avec 3 types
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au sud : type rivières de plaines et de mangrove.
Il existe une opposition entre le nord/centre et le sud de l’île : comme le montre la carte de « Localisation des captages utilisés en alimentation en eau potable » réalisée par l’ODE en 2022, aucun captage ne se situe dans le sud.
L’activité humaine du sud est donc entièrement dépendante de l’eau captée et traitée dans le nord et le centre de l’île.
La particularité de la Martinique réside aussi dans sa consommation : contrairement à la métropole, les besoins proviennent essentiellement des ménages et des usages domestiques, bien avant l’agriculture.

En période de Carême (période sèche), certaines activités agricoles souffrent ainsi du manque d’eau. Des solutions d’irrigations sont alors recherchées. La Réutilisation des Eaux Usées Traitées (REUT) apparaît donc comme une solution alternative d’irrigation.
Une absence totale de captages dans le sud

L’autre spécificité de l’île réside dans la répartition des dispositifs d’assainissement : beaucoup de petites Station de Traitement des Eaux Usées (STEU) d’une part, et une part importante de Stations d’Assainissement Non Collectif (ANC) privés d’autre part.
En 2017, on dénombrait 108 Stations de traitement des eaux usées (STEU) collectives publiques, une majorité de petites :

EH = Equivalent Habitant
Seules 4 STEU dépassent les 20 000 EH :
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Pointe des Nègres <=> 30 000 EH
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Gaigneron <=> 35 000 EH
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Dillon 2 <=> 25 000 EH
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Dillon 1 <=> 60 000 EH.
Un nombre important d'ANC
L’urbanisation croissante en zone périurbaine et rurale, la topographie accidentée de l’île, les coûts de raccordement à l’assainissement collectif expliquent ainsi la proportion très élevée de systèmes privés d’ANC.
Le potentiel de REUT dépend de nombreux critères, dont les plus importants restent la qualité des eaux résiduaires (urbaines pour les STEU collectives), et la capacité en volumes de traitement de ces STEU.

Etude du potentiel REUT de l'ODE
En 2022, l’Office de l’eau Martinique (ODE Martinique), équivalent des Agences de l’eau en métropole, a commandé une étude de faisabilité de réutilisation des eaux sur le territoire.
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L’étude considère 3 moteurs aux demandes de REUT :
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Déficit hydrique pour l’agriculture
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Impact des rejets des STEU
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Déficit en eau potable sur certaines zones urbaines.
Pour rappel, la mise en place d’un projet de REUT est très complexe et nécessite la prise en compte de nombreux critères. Mais surtout, elle nécessite une « approche intégrée et multifactorielle » (ODE, 2022).
L’étude du potentiel REUT de Martinique s’est concentrée sur une partie des REUT. Les critères de sélection choisis sont les suivants :
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Gisements :
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STEU collectives traitant les Eaux Résiduaires Urbaines (ERU)
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STEU industrielles avec un « focus sur les distilleries, sucreries et autres Industries Agro-Alimentaires (IAA) quel que soit le niveau de traitement existant »
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Stations de traitement des boues de vidange de fosses septiques
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Usages :
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Usages réglementés
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irrigation agricole
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usages « urbains » d’arrosage d’espaces verts, de golfs ;
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Usages non réglementés : des process industriels, du nettoyage.
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En fonction de ces critères, 59 STEU avaient été présélectionnées, analysées, et hiérarchisées en fonction des indicateurs suivants :
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Performance et capacités : « être performante de manière régulière, et fournir des volumes conséquents et stables »
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Impact actuel du rejet sur le milieu récepteur : « positif (recharge d’un cours d’eau) ou négatif (dégradation de la qualité) »
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Demandes et usages potentiels : « à proximité de la STEU, en adéquation en termes de qualité et de volumes avec les capacités de la STEU ».
Un potentiel d’économie circulaire de l’eau largement inexploité en Martinique

Le document de synthèse a recensé 16 projets de REUT à différents stades d’avancement dont 3 ont été détaillés en fiche analytique pour l’étude.
Afin de catégoriser ces projets, nous avons distingué les projets en fonction de leur statut :

Ainsi peut-on voir que sur 16 projets analysés, 63% sont des boucles de réutilisation des eaux usées internes à une même structure privée : avec des eaux usées traitées issues de processus industriels alimentant les terres agricoles appartenant soit à la même structure soit à autre structure voisine.
On observe autant de projets publics, c’est-à-dire dont les eaux résiduaires urbaines issues des STEU collectives publiques (gisements) sont réorientées vers des usages de projets publics, que de projets publics-privés, à savoir que les eaux résiduaires des STEU collectives publiques sont réutilisées par des structures privées (essentiellement agricoles).
Les projets sont ainsi très variés comme le présente le graphique des Typologies de gisements.
Divers usages

Concernant les usages, si l’étude avait choisi d’analyser le potentiel d’irrigation (besoins identifiés dans le sud en raison de l’absence de captages en AEP) entre autres, l’analyse révèle une variété d’usages : 50% des projets.
Analyse croisée/dynamique

Quand on analyse l’état d’avancement en fonction des Typologies/gisements, des statuts des structures, des finalités/usages des projets, on constate que :
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Finalités/usages : Si les projets d’irrigation constituent 50% des projets totaux, ils représentent 67% des abandons ;
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1 dont le gisement provient de la STEU collective
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3 dont le gisement provient des eaux industrielles (dont 2 IAA)
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Typologie du projet/gisements :
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Les abandons concernent pour moitié des projets dont les gisements proviennent de STEU des eaux résiduaires urbaines et pour l’autre les eaux industrielles (dont 33% issues de l’Industrie Agro-alimentaire).
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100% des projets bloqués sont ceux dont le gisement provient de la STEU des eaux résiduaires urbaines.
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Des initiatives remarquables d'économie circulaire de l'eau
5 projets étaient en cours de réalisation en 2022 en Martinique.
Des projets variés : mais des gisements majoritairement en provenance des acteurs privés industriels, variés sur les usages avec une tendance à la mise en place d'un circuit fermé. Deux projets ont pour finalité l'irrigation.

Conclusion
En conclusion, l’étude met en évidence l’impossibilité de voir aboutir différents projets de REUT collectives alors que celles-ci se situent souvent à proximité des terres agricoles.
En cause, des dysfonctionnements internes aux STEU collectives qui empêchent d’atteindre une performance et une qualité suffisantes des eaux résiduaires urbaines pour une irrigation.
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D’autres freins ont été identifiés : techniques, financiers, politiques.
Or, la synthèse de l'Etude menée par Ecofilae reste optimiste quant au potentiel des projets de REUT et l’essaimage sur le territoire : à condition que les améliorations des STEU soient réalisées.
Bibliographie
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CEREMA, 2020, Programme d’accélération de la REUT en littoral, https://www.cerema.fr/fr/programme-acceleration-reut-littoral.
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Condom N., Lefebvre M., Vandome L., 2012, La réutilisation des eaux usées traitées en méditerranée : retour d’expériences et aide à l’élaboration de projets, Les cahiers du plan Bleu.
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INEC, 2018, L’économie circulaire dans le petit cycle de l’eau : la réutilisation des eaux usées traitées.
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Observatoire de l’eau Martinique, https://www.observatoire-eau-martinique.fr.
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ODE, Ecofilae, 2022, Étude du potentiel de réutilisation des eaux sur le territoire de la Martinique.
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Une fonction publique pour la transition écologique – Fiche « Politiques Publiques » - 2023 – mise à jour en juillet 2023, https://fpte.fr/wp-content/uploads/2024/01/FPTE-Fiche-eau-Jv-2024.pdf.
Exemples de la REUT
De la ressource en eau
à la REUT
Pourquoi réutiliser des eaux usées traitées alors que notre Planète Bleue est recouverte à 72% d'eau ?
Contribution de l'EPCI à l'économie circulaire de l'eau
Dans l'analyse de la contribution de l'EPCI à la territorialisation de l'économie circulaire, un exemple de Martinique est exposé : la REUT en vue de l'irrigation de champs de canne.
Benchmarck : REUT en vue de la circularité de l'eau potable
L'exemple exposé n'est pas celui d'un territoire insulaire. Mais c'est la première expérimentation de la circularité de l'eau potable en France, tandis que ce procédé est déjà commun en Espagne, en Italie.
