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L'insularité réexaminée : l'exemple de la Martinique

  • insularite
  • 1 juin 2020
  • 43 min de lecture

Dernière mise à jour : 14 août

Revisited Insularity : the case of Martinique

La insularidad revisitada : el caso de Martinica


Article publié aux Editions Karthala dans "ÎLES EN DEVENIR. DES ANTILLES ET D'AILLEURS" disponible sur www.karthala.com.


La présente communication correspond à la version du 1er juin 2020.


Résumé

L’île en tant qu’objet d’étude a souvent été abordée dans la littérature scientifique au vu de sa caractéristique première qui permet de la distinguer des autres lieux géographiques : sa délimitation par la mer qui la sépare, l’éloigne du continent. Ainsi, la notion d’insularité est associée à l’éloignement et à l’isolement. Or, la condition indispensable à la survie de ces espaces limités est la nécessaire liaison avec l’extérieur. Les mobilités définissent ces espaces insulaires, et rendent complexes les rapports que les populations peuvent entretenir avec eux. Cette communication se propose donc de voir dans quelle mesure l’insularité nécessite de considérer les mobilités, et dans une approche de géographie sociale et culturelle en traitant de la Martinique, d’analyser comment cette complexité peut être éclairée au vu du concept de territoire multisitué (Cortès et Pesche, 2013).

Mots-clés : insularité, espaces, mobilités, complexité, territoire multisitué, Martinique.


Abstract

Island as an object of study has often been approached in scientific literature by its delimitations by the sea and its remoteness to the continent. In fact, we can distinguish it from other spaces by the sea that surrounds it. Thus, the notion of insularity is often associated to remoteness and isolation. But the condition for these limited spaces to survive is the necessary link with other places. They are defined by mobilities which complexify the relations island population can have. This paper proposes to see how insularity needs to be treated by mobilities. By dealing with Martinique, we can also use a social and cultural approach in geography to see how complexity could be clarified by the concept of multisituated territory (Cortès & Pesche, 2013).

Keywords: insularity, spaces, mobility, complexity, multisituated territory, Martinique.


Resumen

La isla como objeto de estudio se trata in general in la literatura científica en vista de su principal característica: la delimitación natural por el mar, que permite que se la distinga de los otros lugares geográficos. Así pues, la noción de insularidad se asocia con la lejanía y el aislamiento. Pero para sobrevivir estos espacios limitados necesitan intercambios con el mundo exterior. Las islas se definen por la movilidad que las hacen más complejas las relaciones que la población puede entretener con estos mismos lugares. Este documento se propone de ver de qué manera se necesita de tratar la insularidad con las movilidades. Y al tratar de Martinica con un enfoque de geografía social y cultural: como esta complejidad puede comprender a través del concepto de territorio multisituado (Cortès y Pesche, 2013).

Palabras claves : insularidad, espaces, movilidad, complexification, territorio multisituado, Martinica.

 

 


L’insularité est d’ordinaire considérée en géographie au travers de l’éloignement du continent, de l’isolement, caractère intrinsèque de l’île en tant qu’« entité entourée d’eau de toute part ». François Doumenge (1984) a formulé un indice d’isolement qui permet d’expliquer l’endémisme de la faune et de la flore : plus une île est éloignée du continent, moins les rapports entre les deux espaces se font, expliquant une spécificité insulaire. De la sorte il est possible d’apprécier des degrés d’insularité entre les îles plus ou moins éloignées. Plus récemment, François Taglioni (2003) a exposé une typologie des insularités en retenant des critères politique (statut institutionnel), géographique (mono-insularité, archipel) et de développement (IDH, indice de développement humain). Ce qui lui a permis de distinguer l’hypo-insularité, l’insularité et la surinsularité.

Mais est-ce la seule approche qui peut en être faite ? La littérature scientifique traitant des îles a déjà fait état pour l’outre-mer français de cette nécessité de compléter la notion d’insularité en faisant notamment référence aux « liens-ponts » (Angeon et Saffache, 2008) qui existent entre l’outre-mer et la France métropolitaine, à travers une typologie de flux constants et réguliers (Nicolas, 2001, 2005), tout en mettant en évidence l’existence d’espaces « transatlantiques » (Condon, 1996) ou « transocéaniques » (Nicolas, 2001), et  qui ne sont possibles que par les moyens de transport (cf. l’article de Colette Ranély Vergé-Dépré de cet ouvrage[3]). Ainsi, si ces espaces restent complexes à définir, tant les échelles diffèrent et les temporalités peuvent varier, Colette Ranély Vergé-Dépré contribue à la recherche scientifique en géographie, en montrant le lien très fort et pourtant peu étudié entre l’insularité et les transports. Il s’agit pour elle « d’identifier les relations qui unissent ce couple et d’en révéler les principaux enjeux : quels débats géographiques soulèvent-ils ? ». En effet, les îles comme n’importe quel autre territoire sont ancrées dans le processus de mondialisation et d’échanges constants.


Cette communication s’effectue dans le cadre de travaux scientifiques en géographie et porte sur une contribution à l’analyse de l’évolution de la notion d’insularité, au-delà de l’isolement. La notion d’insularité est associée aux recherches sur les petits espaces insulaires et sur le lien que leurs populations entretiennent avec leur centre de décision. S’il est complexe pour les scientifiques de se mettre d’accord sur les seuils qui permettraient de distinguer de façon claire une petite île d’une grande, François Taglioni (2003) a proposé une définition des petits espaces insulaires comme " des terres entourées d'eau de tous côtés, d'un seul tenant, dont la superficie est inférieure à 11 000 km2 et la population inférieure à 1,5 million d'habitants ". Nous choisissons la Martinique comme cadre d’étude, qui rentre dans cette catégorie. Cette île, située dans l’Arc des Petites Antilles de la région Caraïbe, a une superficie de 1 080 km2 et compte 372 594 habitants au dernier recensement de l’INSEE (2017). Distante de sa métropole[4] d’environ 7 000 km, elle lui est reliée par différents échanges et modes de transports.


            Cette étude fait aussi suite à un travail initial sur les temporalités de l’île, c’est-à-dire tant de la population que du territoire insulaire. Comme le mentionne à juste titre Stéphane Gombaud (2007), « Les géographes faisant porter leur réflexion sur les îles sont amenés à réfléchir le fait insulaire à diverses échelles, de temps et d’espace. » Les temporalités sont comprises au sens de « caractère de ce qui existe dans le temps », et comme « construit social produit de l’agrégation de plusieurs temporalités » (Bernardie-Tahir, 2011). Elles permettent alors de considérer le caractère relatif et non linéaire du temps, celui-ci devenant le temps vécu et représenté à différentes échelles et par différents individus. En parallèle, le temps long de l’histoire permet selon le même auteur d’« éclairer l’évolution des comportements collectifs ».

Nous avons choisi d’analyser un corpus de documents scientifiques de géographie, mais aussi d’autres sciences humaines et sociales traitant des migrations des ultramarins vers la France métropolitaine : Angeon et Saffache, 2008 ; Breton et Temporal, 2019 ; Buléon et Turbout, 2019 ; Célestine et Roger, 2014 ; Chivallon, 1996, 1997, 2006 ; Condon, 1996 ; Condon et Pourette, 2013 ; Giraud et al., 2009 ; Haddad, 2018 ; Moullet et al., 2007 ; Moutamalle et al., 2006 ; Nicolas, 2001 et 2005 ; Pagney Bénito-Espinal et Nicolas, 2013 ; Palmiste, 2012 ; Pélis et al., 2009 ; Vaschalde-Florentiny et Dorion, 2011. En développant le cas de la Martinique, au vu de la complexité des relations qui se jouent au sein de la population, et des liens que celle-ci entretient avec son lieu d’origine quand elle est partie vers la métropole, ou avec cette dernière quand elle est restée sur sa terre natale, nous avons alors identifié un intérêt à considérer le concept développé par Geneviève Cortès et Denis Pesche (2013), celui de territoire multisitué. Comme le précise Frédéric Giraut (2013), ce concept permet de concevoir la territorialité « en termes de relations plus qu’en termes de continuité et d’unicité ». Nous partons donc de l’hypothèse que la population du petit espace insulaire qu’est la Martinique, éloignée de sa métropole, s’apparente dans ses relations à ce que ces auteurs ont appelé territoire multisitué : « ensemble de lieux discontinus constitutifs d’un espace fonctionnel et vécu (pratiques, activités, représentations), voire organisationnel dès lors que sont en jeu des processus d’action, de gestion et de coopération. »


            Comment donc faire évoluer le concept d’insularité ? Pourquoi y associer celui de territoire multisitué ? La finalité est de caractériser l’espace construit par les mobilités des martiniquais entre le petit espace insulaire et sa métropole. Quels types d’espaces ressortent de la littérature scientifique ? Et dans quelle mesure les mobilités et les pratiques des martiniquais permettent-elles de passer de l’espace construit entre deux pôles de part et d’autre de l’océan Atlantique au territoire multisitué ? Quels critères de définition du territoire multisitué se vérifient-ils au travers des caractéristiques de cet espace constitué de deux pôles ?

 

Présentation de l'objet d'étude et de la méthodologie

Dans le contexte de mondialisation où les échanges se multiplient, les concepts ont  évolué pour tenter de refléter au mieux la complexification des processus. Ainsi, les concepts de mobilités, de circulations donnent de nouvelles définitions des modes d’habiter. Il s’agit donc de voir comment se fait cette transition de l’insularité-isolement et insularité-éloignement à une insularité-échanges nécessaires, et de l’espace caractérisé par des flux à un territoire approprié par la population.

 

Les concepts mobilisés

Pour commencer, le concept clé qui lie tous les autres est celui de mobilité. La définition classique qui peut en être faite est « un changement de position géographique ou sociale » (Brunet, 1993), ce qui permet notamment de parler de mobilités sociales, professionnelle, de travail, géographique. Or le concept a évolué pour désigner selon Pascal  Baud et al. (2013), un processus. En effet, il désigne le « processus qui aboutit à un déplacement », mais aussi et surtout « la capacité ou [l’] aptitude au mouvement voire tout ce qui concourt à créer les conditions de déplacement » (Baud et al., 2013). Plus que le terme de migration qui désigne « le changement durable de résidence principale » (Baud et al., 2013) quand la durée de déplacement est supérieure à 6 mois, c’est le terme de mobilité qui est appliqué, devenant aussi un des thèmes majeurs de la géographie actuelle, par sa capacité à questionner les territoires et la façon que l’homme a de les habiter (Clerc, 2012).

Car au vu de la multiplication des déplacements et de leur complexité, le terme même d’habiter qui renvoyait chez les géographes à la sédentarité dans les deux approches – « par les civilisations matérielles [...] et par la phénoménologie » (Clerc, 2012) – a fini aussi par être impacté par les mobilités chez certains auteurs. Mathis Stock (2004) dans ses travaux sur les touristes et les individus pratiquant des loisirs, est arrivé à définir le tourisme comme l’« habiter temporaire hors des lieux du quotidien. » Le concept d’habiter renvoie désormais selon lui à un « ensemble de pratiques des lieux géographiques », et non plus uniquement à « avoir son domicile en un lieu » (Clerc, 2012). Ainsi, dans une « société à individus mobiles » au mode d’habiter désormais « poly-topique » (Stock, 2001), les « touristes transforment [leur] lieu [de vacances] hors du quotidien en un lieu familier qui devient parfois un référent identitaire » (Clerc, 2012).

De ce fait, le concept de mobilités qui renvoie à un processus, et celui d’habiter qui renvoie à un ensemble de pratiques de lieux modifiés par les processus de mobilités ont un impact sur les territoires géographiques. Si les termes de migrations, de flux et de réseaux renvoient en géographie au paradigme de l’espace géographique, les concepts de mobilités, d’habiter renverraient davantage au paradigme du territoire, par le rapport que les individus interrogés peuvent entretenir avec lui. Mais ce territoire lui-même se voit questionné au vu de ces nouvelles pratiques. Christine Chivallon (1996) rappelle la définition de Claude Raffestin (1980) considéré comme l’auteur qui aurait « ouvert la voie à la formulation du paradigme territorial » à savoir le « résultat d’un processus de sémantisation de l’espace ». L’une des acceptions de ce processus qui attribue au territoire une certaine cohésion sociale se voit menacée face à « la vitesse [de nos sociétés modernes qui] ne donnent plus au social [...], le temps de se spatialiser » (Chivallon, 1996). Ce qui a fait certains auteurs annoncer la ”fin des territoires”.

Les mobilités définissent de nouveaux modes d’habiter les territoires géographiques : qu’en est-il des territoires insulaires ?


            L’insularité, comme le mentionne Colette Ranély Vergé-Dépré dans son article[5] a « souvent été assimilée à la notion d’enclavement » mais aussi d’isolement ou d’éloignement (Doumenge, 1984 ; Bonnemaison, 1990 ; Taglioni, 2003). Elle rappelle que « c’est la combinaison de plusieurs caractéristiques territoriales (petite taille, éloignement, enclavement, territoire archipélagique, etc.) qui crée des disparités avec le continent, plutôt que chacun de ces facteurs pris séparément. » Les mobilités selon l’auteur, « prennent des formes multiples en fonction des besoins des insulaires »et sont facilitées par « les progrès des transports ». Ce sont bien les « réseaux de transports [qui] contribuent à l’organisation de l’espace géographique et sont un support essentiel [des] usages, [notamment ceux d’] habiter, s’approprier, exploiter, échanger et gérer. »

Car l’insularité comme « discontinuité territoriale implique une dynamique particulière de liens entre acteurs. Cette caractéristique géographique rend nécessaire la mobilité des individus et invite à l’établissement de liens-ponts, [...] reflets d’une ouverture sur l’extérieur essentielle aux dynamiques de développement des territoires » (Angeon et Saffache, 2008). En effet, Jean-Pierre Doumenge écrivait en 2010 dans son article intitulé « L’insularité revisitée […]»que « le sentiment d’isolement qui semble à première vue structurer la condition insulaire est donc un faux-semblant [...] pour le combattre, les insulaires ont su tisser des relations à longue distance […]»

Les relations entre lieux espacés entraînent la formation d’espaces par les échanges et les mobilités. Mais dans une certaine mesure, les espaces qui en découlent se transforment au vu des rapports spécifiques que la population entretient avec eux : de nouveaux modes d’habiter se développent, créant ainsi par le processus de territorialisation de nouveaux territoires. En effet, Françoise Pagney Bénito-Espinal et Thierry Nicolas (2013) rappellent que « Dans le chapitre des Concepts de la Géographie humaine intitulé ”Espace et pouvoir”, rédigé par Claude Raffestin et Angelo Barampama, le territoire est aussi défini comme produit à partir de l’espace par les réseaux, circuits et flux projetés par les groupes sociaux. »

Mais de quels territoires parlerons-nous ? Sera-t-il possible de traiter du territoire insulaire comme « espace approprié, limité et géré par un groupe humain » (Dunlop, 2009) ? Et dans le cas de la population émigrée, quel territoire pourrons-nous présenter ?

Car aborder le rapport de certains groupes à leur territoire amène à aborder la question de la territorialité, de l’identité territoriale, voire de l’identité collective. On le comprend bien avec Françoise Pagney Bénito-Espinal et Thierry Nicolas (2013) quand ils précisent que « chaque individu, dans son expérience vécue, possède une relation intime avec ses lieux de vie, lieux qu’il s’approprie et qui contribuent à façonner son identité individuelle ou collective. Le territoire possède donc, certes, une dimension matérielle, mais aussi idéelle. Le processus lié à sa construction et à son développement se fonde tant sur sa substance physique, sur des actions et des aménagements, que sur des discours et des symboles. »


L’espace vécu, concept initié par Armand Frémont fait ainsi référence à l’introduction de la phénoménologie en géographie, et donc « aux rapports psychologiques entre les hommes et les lieux » (Frémont, 1974). Par la suite, l’inventeur de la nissonologie ou science des îles, Abraham Moles (1982) a pu développer le concept d’îléité qui renvoie à la vision que les insulaires ont de leur territoire. « Grandeur topopsychologique » (Moles, 1982), « version insularisée de l’identité » (Bernardie-Tahir, 2011), l’îléité a été étudiée par de nombreux auteurs. Pour Joël Bonnemaison (1990) l’îléité est « rupture » car l’insularité est « isolement ». Néanmoins, l’auteur montre que le mouvement réticulaire et l’organisation des sociétés insulaires océaniennes leur permettent de dépasser cet isolement, en considérant la mer (qui est donc rupture au départ) comme le lieu des échanges et du lien entre civilisations de la mer. Françoise Péron (1988) met en évidence les mouvements des insulaires issus de la diaspora ouessantine, qu’ils soient de courte durée mais réguliers ou définitifs.


Passer de l’insularité à l’îléité serait, selon François Taglioni (2003), semblable au « passage de l’espace au territoire » et pourrait être représenté par le schéma 1 intitulé Processus de mobilités et paradigmes d’Espace et de Territoire.

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Schéma 1 : Processus de mobilités et paradigmes d’Espace et de Territoire

 


En faisant référence à Joël Bonnemaison, si à l’inverse, l’insularité est pensée comme échange, l’îléité le serait aussi, au vu de l’importance des processus de mobilités.

C’est la traduction spatiale de la territorialité de la population insulaire martiniquaise et de sa diaspora qui pose question. Nous le développerons ultérieurement avec les travaux de Christine Chivallon. Et il s’agira de voir en quoi les mobilités invitent à réexaminer cette territorialité et le processus de territorialisation.

S’il apparaît au travers de la littérature scientifique une certaine pertinence à considérer la notion d’insularité à travers la nécessité d’ouverture de l’île, nous pourrons voir quelles relations se construisent entre l’évolution de ce concept, le processus de territorialisation qui se forme au travers des nouveaux modes d’habiter, et l’identité collective ou territorialité qui en découle. Pour cela, nous présenterons dans un premier temps, la société martiniquaise créole, la complexité qui la caractérise, et la difficulté pour certains auteurs de trouver une forme de territorialisation avec l’île qu’elle habite. Dans un second temps, nous passerons en revue les différents critères qui permettent de rapprocher le concept de territoire multisitué de la complexité créole relatée dans la littérature scientifique. Parmi ceux-ci, figurent divers types d’espaces, formés entre la Martinique et la France métropolitaine, par les mobilités de sa population grâce aux moyens de transport. Enfin, nous verrons si l’appropriation des territoires s’apparente aux territoires multisitués.

 

La méthodologie retenue

La méthodologie retenue est celle de l’analyse d’une littérature scientifique en sciences humaines et sociales, celle d’un corpus restreint de textes au vu du nombre réellement paru sur le sujet. Ce corpus est donc constitué des articles mentionnés précédemment. Nous verrons donc dans quelle mesure on peut parler de territoire multisitué dans le cas des pratiques spatiales de la population martiniquaise. Pour cela, nous construirons notre développement en reprenant chaque élément de définition et les caractéristiques principales du territoire multisitué présentés par Geneviève Cortès et Denis Pesche dans leur éditorial de 2013, afin de voir en quoi ceux-ci se vérifient.

Le corpus est constitué de sources scientifiques de plusieurs disciplines, et permet d’observer la population martiniquaise sur plusieurs sites géographiques différents (par exemple le Havre dans les travaux de Danièle Vaschalde-Florentiny et Georges Dorion datant de 2011 et en Île-de-France dans ceux de Stéphanie Condon de 1996) quoique tous situés en France (métropole & outre-mer). Les textes permettent aussi des analyses à des échelles variées, allant de la plus grande[6] (Condon, 1996 ; Célestine et Roger, 2014 ; Vaschalde-Florentiny et Dorion, 2011), à la plus petite échelle régionale voire nationale (Breton et Temporal, 2019 ; Buléon et Turbout, 2019), en passant par une échelle moyenne des structures (Célestine et Roger, 2014 ; Giraud et al., 2009).

A cet effet, nous reprenons les principales questions soulevées par Geneviève Cortès et Denis Pesche (2013) : « En quoi les dynamiques sociales, culturelles et économiques qui répondent à des logiques archipélagiques et réticulaires plus qu’aréolaires ” font territoire” ? Comment appréhender ces configurations territoriales d’un point de vue théorique, méthodologique et empirique ? Comment les prendre en compte dans une réflexion plus large sur la gouvernance et le développement des sociétés et des territoires ? »

 

La complexité d’une territorialisation de la société martiniquaise créole

Avant de commencer directement à étudier le rapport de la population insulaire avec son île d’origine, il s’agit de reprendre des éléments généraux et principaux pour caractériser cette population martiniquaise. Sont alors abordés d’une part la question de considérer la population martiniquaise en tant que diaspora, et d’autre part, son caractère créole et les traductions spatiales que l’on peut en tirer.

Peut-on considérer la population martiniquaise en tant que diaspora ?


Dans un premier temps, comme l’a précisé Nathalie Bernardie-Tahir (2011), les recherches se sont intéressées aux dynamiques démographiques des espaces insulaires et aux liens qui se sont tissés au fil des décennies avec les autres espaces du monde. Ce fut le cas des îles de la Méditerranée, de l’Atlantique-sud, du sud-ouest de l’Océan-Indien, du Pacifique sud, et des Antilles.

Dans le cas de la Martinique plus précisément, quelques auteurs (Vaschalde-Florentiny et Dorion, 2011) ont considéré la population émigrée de la Martinique comme constituant une diaspora. Notre recherche part donc de cet état de fait, en considérant le terme dans sa définition la plus globale et la plus simple. Cette diaspora est la population émigrée entretenant encore des liens avec son « pays » d’origine, à savoir un des quatre critères identifiés par Michel Bruneau (2011). Ce dernier retient en effet comme fondamentaux, quatre critères sélectionnés au sein de l’ensemble des définitions des différents scientifiques ayant traité de la question : le premier tient à la dispersion sous la contrainte de la population en divers lieux ; le second renvoie au choix des lieux de migration conditionné par une « chaîne migratoire »construite au travers des « structures familiales et communautaires » ; le troisième repose sur une intégration à la société d’accueil en dehors de toute assimilation et ce, grâce aux réseaux associatifs communautaires forts ; enfin le quatrième critère est celui de l’existence de réseaux qui permettent des échanges constants et divers avec le lieu d’origine. Ainsi, en considérant le quatrième critère comme présent dans l’ensemble des productions scientifiques, nous pouvions nous interroger avec Nathalie Bernardie-Tahir (2011) sur la « spécificité insulaire du fait diasporique ». La diaspora martiniquaise permettrait-elle de placer l’île « au cœur d’un immense réseau migratoire [participant] à ce qu’Alain Tarrius (2002) désigne comme une "mondialisation par le bas [...] de vastes réseaux familiaux, ethniques, culturels, politiques, économiques structurant de larges espaces sociaux transnationaux."» (Bernardie-Tahir, 2011) ?

Christine Chivallon (2006) rappelle que le terme de diaspora a suscité de nombreuses interrogations, finissant même par signifier chez certains auteurs le contraire de ce qu’il désignait au départ : « Mais par-delà, c’est sans doute la malléabilité du terme, sa capacité à avoir pu épouser simultanément des conceptions opposées qui rendent l’usage du mot " diaspora" si incertain. En effet, la notion a prouvé sa très grande mobilité sémantique et sa spectaculaire efficacité discursive au cours de la dernière décennie. Elle est parvenue tour à tour à intégrer une vision évoquant somme toute un certain essentialisme communautaire (la diaspora comme conscience communautaire perpétuée par-delà la dispersion depuis un territoire d’origine) et une vision dégagée de toute référence à un habitus communautaire (la diaspora hybride des auteurs postmodernes, celle qui se trouve affranchie des assignations identitaires, nationales et territoriales). »

Ainsi, les définitions retenues renvoient souvent au lien que les membres de cette population entretiennent entre eux : tant les membres émigrés entre eux que les membres émigrés avec les non-immigrés. Or, certains auteurs estiment cette condition non réunie dans le cas de la Martinique. Si nous pouvons tout de même considérer les émigrés martiniquais comme diaspora, dans le sens large présenté c’est-à-dire en ne considérant que le quatrième critère de Michel Bruneau (2011), nous partons du principe que si échanges il y a, ceux-ci s’effectuent de façon différenciée en fonction des temporalités, des domaines observés. Tout l’objectif étant de voir comment ils se caractérisent, ou du moins, comment ils ressortent de la littérature scientifique du corpus considéré.

Christine Chivallon aborde aussi le caractère créole de la population. Tenter de définir la société créole est un premier dialogue avec la littérature que nous pouvons effectuer et que permet le concept de territoire multisitué. Mais c’est surtout une invitation à parler, en terme géographique, du rapport que cette population entretient avec son territoire insulaire, et donc d’une éventuelle identité.

 

Territoire-Créolité : passerelles et dialogues avec d’autres disciplines 

« Si le territoire multisitué est ici interrogé du point de vue de la géographie, il constitue une notion passerelle du fait de sa capacité à faciliter le dialogue avec d’autres disciplines. Du côté de la sociologie, cette notion fait écho aux travaux sur les recompositions des identités et des sociétés en lien avec les dynamiques de réseaux [...]Du côté de la science politique, la notion de territoire multisitué renvoie à la question ardue des formes de contrôle des circulations et de la compatibilité entre mobilités et structures de pouvoir, ces dernières étant généralement ancrées sur un territoire donné, unifié. [...] Comment évoluent les formes de l’action publique et les modes de gouvernance dans des configurations territoriales où l’on passe du schéma de la juxtaposition et de l’emboîtement des échelles (du local à l’international) à celui, plus complexe, de la superposition et de l’articulation d’espaces disjoints? » (Cortès et Pesche, 2013)

 

Ce critère du dialogue avec les autres disciplines qui permet de vérifier le territoire multisitué est l’un des derniers identifiés par les auteurs Geneviève Cortès et Denis Pesche (2013). Cependant, nous nous voyons incités à les aborder en premier, afin de caractériser et présenter la population vivant sur le territoire martiniquais. Le premier dialogue que cette analyse propose de réaliser, se fait avec la littérature antillaise afin de traiter notamment de la créolité martiniquaise en faisant référence au Discours antillais d’Edouard Glissant (1981) [7] et à Texaco de Patrick Chamoiseau (1994)[8]. Christine Chivallon (1996) avait d’ailleurs analysé les spatialités présentes dans l’œuvre littéraire du second ouvrage. C’est à travers une analyse géographique et anthropologique que l’auteur étudia les identités créoles à l’échelle de l’île.

Nous avons retenu comme définition de la créolité celle de Jean Bernabé et al. (1993) qui précise qu’elle serait « ”le monde diffracté mais recomposé”, un maelström de signifiés dans un seul signifiant : une Totalité [...] la créolisation est la mise en contact brutale, sur des territoires [...] de populations culturellement différentes [...] ». Si cette citation aide à comprendre en quelque sorte le processus de construction de l’identité martiniquaise, elle permet surtout dans un certain sens de percevoir que cette société créole est complexe, car à la fois une et multiple, constante et évolutive. ”Une” par le processus qui permet de la distinguer et de la reconnaître, ”multiple” car elle permet de lire l’histoire de la construction de la société étudiée, notamment à travers les différentes migrations de peuples, ”constante” car elle demeure dans le temps tout en ”évoluant” en fonction des groupes étudiés, des parcours de vie, des temporalités : en quelque sorte, des mobilités.

Cette complexité de la société créole martiniquaise laisse percevoir une complexité des relations et du rapport que celle-ci entretient avec son île, son territoire. Christine Chivallon a posé clairement la problématique de l’identité antillaise et de sa traduction spatiale dans sa publication de 1997, sujet qu’elle admet avoir été beaucoup discuté dans la littérature scientifique, avec néanmoins des « variations très sensibles » en fonction des auteurs, et parfois même chez un même auteur. La société créole martiniquaise apparaîtrait pour certains comme non conforme aux schémas classiques, notamment par son « asocialité » (Affergan, 1983)[9], son absence de « traditions des habitudes communes » (Glissant, 1981) et donc de « conscience collective » (Chivallon, 1997). Elle relèverait en quelque sorte d’un inachèvement. On pourrait alors reposer la question de considérer les émigrés de cette société en tant que diaspora, et encore plus d’éventuelles traductions spatiales voire territoriales concrètes. Christine Chivallon cite à ce propos Christiane Bougerol (1987)[10] qui suggère de considérer l’identité collective antillaise comme « nécessairement reliée à la notion de territoire » (Chivallon, 1997) au travers de l’étude du culte des morts. Or il serait difficile de trouver un lien fort entre les martiniquais et les lieux de l’île qu’ils fréquentent, en raison d’une difficulté pour beaucoup d’entre eux à reconnaître leurs ancêtres, et donc une certaine généalogie. Les hommes du passé, de leur passé, qu’ils méconnaissent en grande partie, ne seraient en quelque sorte pas réellement attachés aux différents lieux, qu’ils n’identifient pas non plus, et auxquels ils ne s’identifieraient pas davantage.

Comment de cette façon aborder la notion de territoire ? Christine Chivallon (1997) a considéré, en accord avec les écrits d’Edouard Glissant (1981) que le « territoire-racine » pouvait être évacué pour traiter de traduction spatiale des antillais sur leur seul espace insulaire. L’auteur du Discours antillais a notamment préféré la métaphore du rhizome à celle de la racine pour parler de l’identité martiniquaise. Par conséquent, comment pourrions-nous oser envisager de considérer une traduction spatiale entre cette île et l’Hexagone en l’absence de traduction spatiale et d’identité collective pour le territoire insulaire ?

 

Territorialité multiscalaire, temps et patrimonialisation

L’étude des identités collectives de la vingtaine d’étudiants martiniquais et guadeloupéens de Montpellier, Fort-de-France et Pointe-à-Pitre (Jeannot, 2009) a tenté de trouver une traduction spatiale (territorialisation) propre aux étudiants créoles insulaires et de la diaspora située dans l’Hexagone. Et sur les conseils de Jean-Pierre Doumenge, l’insularité a été envisagée sous le prisme de l’ouverture, l’auteur se risquant à considérer l’insularité comme territorialité multiscalaire. A la fois une et multiple, à l’image de la créolité, l’identité collective des étudiants s’était révélée surtout multiscalaire voire « gigogne » (Doumenge, 2010). Il ressortait de façon générale un rapport au territoire insulaire ou archipélagique, qui relevait davantage de l’espace symbolique et représenté, que de l’espace concret, pratiqué.

En effet, si ces étudiants citaient des lieux caractéristiques voire emblématiques de leur île, ils ne les fréquentaient pas pour autant de façon régulière. Et pour ceux qui étudiaient dans l’Hexagone, c’était pendant le temps des vacances qu’il leur était alors possible de redécouvrir, voire de découvrir ces lieux, souvent empreints de l’histoire douloureuse de l’île. Par ailleurs, ce rapport semblait différent de celui entretenu avec les autres îles et continents voisins de la région Caraïbe et tout aussi différent du rapport à l’Hexagone qui apparaissait comme le territoire permettant une plus grande mobilité (sociale, spatiale et professionnelle) et donc offrant de meilleures perspectives individuelles, mais aussi collectives.

Le poids de l’histoire devenait de plus en plus présent tant en Martinique qu’en Guadeloupe, notamment par la multiplication des lieux de mémoire dans le contexte de patrimonialisation, contribuant à une dimension tant matérialisée qu’idéelle du territoire (Pagney Bénito-Espinal et Nicolas, 2013). Ainsi l’isolement (Doumenge, 2010) de l’île serait un certain « faux-semblant », davantage présent dans la dimension matérielle (transport) que dans la dimension idéelle, celle des représentations.

Tout aussi marquante dans la construction de la territorialisation figureraient les temps longs, ceux qui contribuent à faire du territoire, un « système complexe », une « entité en constante construction/déconstruction, [...] en mouvement » (Pagney Bénito-Espinal et Nicolas, 2013).

La société martiniquaise créole peut difficilement être considérée comme unique et dotée d’une identité collective sur son propre espace insulaire au sens occidental des termes (Chivallon, 1997 ; Glissant, 1981 ; Affergan, 1983). Pourtant une identité existerait en France métropolitaine chez les migrants et s’autonomiserait de l’identité initiale insulaire et ceci, du fait du brassage culturel. Nous pourrions aussi y voir l’impact du temps long : celui de l’analyse scientifique d’une part et peut-être celui de l’évolution de la société elle-même. Peut-on envisager que l’identité du territoire ou la « conscience collective » se soient forgées au cours du temps, notamment  par les migrations et les mobilités?

 

Discontinuité et dispersion de la population martiniquaise

« (...) si la dispersion et la discontinuité sont constitutives des territoires multisitués, ils n’en sont pas des attributs uniques et suffisants. » (Cortès et Pesche, 2013).


La distance, l’éloignement et l’autonomie évoquées dans les publications, ou le temps long, ont-ils permis l’apparition d’une communauté antillaise ? Et de même, en quoi le caractère créole de cette société qui marquerait son unité (tant à l’intérieur de l’île qu’à l’extérieur), manifesterait sa spécificité dans son mode d’habiter et sa particularité à faire territoire ?

La discontinuité et la dispersion sont dans le cas de la population martiniquaise créole, constitutives de la caractéristique de l’espace occupé et des relations entretenues avec les autres espaces.

La discontinuité spatiale est marquée par la distance entre l’île et l’espace dont elle dépend. Située dans l’Arc des Petites Antilles de la région Caraïbe, l’île de la Martinique, de même que l’archipel de la Guadeloupe, sont distants de 7 000 km de la France métropolitaine. L’insularité développée précédemment est fortement marquée par cet éloignement dû à la discontinuité spatiale. Mais comme indiqué aussi dans les paragraphes précédents, pour sa survie, toute île a besoin d’échanges avec l’extérieur : on parle d’espaces insulaires mis en contacts avec l’extérieur par divers moyens de transports (aériens, maritimes, télécommunication). L’espace insulaire martiniquais a donc, par le développement des échanges, vu sa population se disperser au fil des années.

De cette manière, la Martinique et la Réunion (en tant qu’espaces insulaires), l’archipel de la Guadeloupe et la Guyane (en tant qu’espace continental), constituent une partie de l’outre-mer français. Très vite, le terme outre-mer est venu à désigner la population originaire de ces espaces distants de la métropole, jusqu’à désormais intégrer les membres de la diaspora, à savoir les primo-arrivants dans l’Hexagone ainsi que leurs descendants (Célestine et Roger, 2014). Cette population émigrée ne constitue en rien une population homogène (Giraud et al., 2009), d’où une variété de situations distinctes à prendre en compte dans les prochaines analyses.

Le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer (Bumidom) mis en place par l’État Français en 1963 et a fonctionné jusqu’en 1981 est l’élément marquant dans l’histoire de la dispersion des populations des outre-mer. Cette organisation des migrations qui devait pallier la discontinuité territoriale et le manque d’emplois (mais en réalité, essentiellement pour éviter de nouveaux mouvements sociaux comme ceux ayant eu lieu dans les années 50 en Martinique) a, au fur et à mesure, été dénoncée par plusieurs auteurs comme principal facteur de dispersion de la population, dans le sens où les forces vives étaient incitées à trouver du travail ailleurs que dans leur île natale. A cette époque, les départs se faisaient essentiellement par bateau, remplacés par la suite par le transport aérien.

Les études scientifiques ont prouvé que les chiffres officiels du nombre de migrants étaient sous-estimés en raison du nombre important d’émigrations parallèles au dispositif. Ainsi, le rôle du Bumidom dans l’émigration organisée est largement attesté, mais il doit être complété par les volontés individuelles de bon nombre d’Antillais de partir vivre une meilleure expérience (Haddad, 2019) dans un ailleurs. La première caractéristique d’une diaspora mise en évidence par Michel Bruneau (2011) et faisant référence à la contrainte de la dispersion peut tout à fait être évoquée ici. Pourrait-on considérer la forte invitation des populations à trouver un travail ailleurs que dans son lieu d’origine comme une contrainte ? Nous n’avons évidemment pas la prétention de répondre à cette interrogation dans le cadre de cette communication.

Mais « pour beaucoup d’Antillais, partir vivre et travailler en Europe concrétisait le rêve d’une vie meilleure »  (Palmiste, 2012).  La notion de contrainte est alors toute relative. Il paraît ainsi nécessaire de s’interroger sur l’imaginaire que constitua cet ailleurs, et qu’il continua de constituer quand les migrations se poursuivirent, voire s’amplifièrent ces dernières années. La poursuite des études, la nécessité de trouver un emploi stable, l’expérience personnelle métropolitaine ou étrangère sont des évidences évoquées dans les extraits d’entretiens des travaux scientifiques du corpus, et bien justifiées au vu du contexte socio-économique des outre-mer de façon générale. Stéphanie Condon et Dolorès Pourette (2013) montrent que la totalité des jeunes enquêtés justifient par le « manque d’équipements culturels [...], de loisirs et [...] l’étroitesse du marché », leur tentation de se tourner vers des destinations « perçu[e]s comme attracti[v]es du point de vue de l’emploi. »

Certains articles scientifiques du corpus traitent ainsi de l’émigration à l’échelle individuelle. A titre d'exemple, Stéphanie Condon (1996) étudie[11] la population insulaire de la Martinique émigrée en Ile-de-France afin de connaître les raisons de leur maintien dans l’Hexagone, et de façon plus large, d’évaluer l’ampleur des migrations retour des anciens candidats au Bumidom. Quelques années plus tard, elle interroge avec Dolorès Pourette les descendants de ces migrants des années 70-80, afin de déterminer leur mobilité sociale et professionnelle, et leur mobilité spatiale entre l’île de leurs parents et la France métropolitaine (Condon et Pourette, 2013). Celles-ci abordent ainsi les identités antillaises. Danièle Vaschalde-Florentiny et Georges Dorion (2011) analysent, pour les anciens bénéficiaires du Bumidom, le rôle qu’ont joué les associations de solidarité dans l’intégration des nouveaux arrivants.

 

 

Quel espace lie l’outre-mer insulaire à sa métropole ?

« Car encore faut-il que cet espace soit structuré, organisé, construit sur la base d’un système relationnel qui lie socialement, économiquement, voire politiquement, plusieurs lieux dispersés et distants. Ces liens, précisément, empêchent l’éclatement, font en sorte que la fragmentation apparente continue à « faire » territoire. C’est aussi en ce sens que le territoire multisitué dépasse l’idée de localisation » (Cortès et Pesche, 2013).

 

Différents espaces de vie entre la Martinique et la France métropolitaine

Les auteurs des articles scientifiques du corpus n’hésitent pas à parler « d’espaces » entre la Martinique et l’Hexagone et ce, à plusieurs échelles.

À petite échelle, proche de l’« espace-mouvement » décrit par Nathalie Bernardie-Tahir (2011) où les îles apparaissent généralement comme des « points d’ancrage » dans des mobilités mondialisées, l’« espace humain transatlantique » ou « transocéanique » de Thierry Nicolas (2001) se constitue des différents flux (aériens, humains, de Nouvelles Technologies de l’Information et de Communication dits NTIC, financiers) qui finissent par modifier les perceptions que les insulaires ont de leur insularité. Les distances se raccourcissent du fait des différents modes de transports et réseaux de communication. Ainsi, c’est, selon Thierry Nicolas (2001), la « conception d’une migration temporaire, transitoire voire fugace [...] les insulaires se rendent à Paris pour 3 jours, pour 2 jours, presque pour 24 heures ».

Ce sont en effet les « liens-ponts » (Angeon et Saffache, 2008) entre acteurs internes et externes au territoire, intrinsèques aux petits espaces insulaires en raison de leur isolement, et de l’éloignement de leur métropole. A la même échelle, Stéphanie Condon (1996) parlait déjà d’« espace de vie transatlantique » pour traiter des va-et-vient qui ont permis de maintenir le lien entre les insulaires émigrés et leur lieu d’origine. Les mobilités ayant évolué et face à la complexité des phénomènes circulaires, l’auteur propose « un autre paradigme qui comprend des formes plus souples de mobilité dont la multirésidence ou le va-et-vient ». L’espace qu’elle décrit est donc constitué des « deux pôles de part et d'autre de l'océan Atlantique, sachant que ces deux pôles peuvent rassembler chacun un ensemble de lieux fréquentés, lieux avec lesquels l'on développe, maintient ou abandonne des liens. » De même, Thierry Nicolas (2001) propose de revoir la notion d’insularité face au « décalage entre la réalité de la distance géographique DROM-Hexagone et [à] l’appréciation d’une proximité par les insulaires ».

Dans leur étude réalisée en 2013, Stéphanie Condon et Dolorès Pourette ont cherché à savoir si cet « espace de vie transatlantique » perdurait « chez les enfants et dans quelle mesure il influe sur les trajectoires d’entrée dans l’âge adulte et la construction identitaire de ces jeunes. » Les situations se révèlent variables, essentiellement en fonction de la classe sociale des parents, avec des tendances pour certains jeunes à accéder à la classe supérieure (pour les familles moins favorisées) et un maintien dans la classe des parents pour les jeunes de classes professionnelles intermédiaires. À noter que l’espace scolaire des enfants est empreint d’une « double culture », grâce aux séjours de durée variable facilités par la continuité du système éducatif.

À plus grande échelle, Audrey Célestine (2012) traite de l’« espace associatif antillais », qui permet aux acteurs publics d’origine antillaise de trouver des lieux d’expression des problématiques insulaires, couplées à celles rencontrées par les insulaires émigrés en métropole. Les associations paraissent donc, sur certains points, comme des relais politiques pour les espaces insulaires. Mais l’auteur insiste aussi sur le fait que ces associations se sont d’une certaine façon autonomisées quant aux revendications spécifiques des ultramarins résidant en France métropolitaine, et en profitent pour relayer dès que besoin, les spécificités des espaces insulaires. Ce sont aussi des lieux d’apprentissage de la vie politique pour ces ultramarins. Au-delà du côté politique, les associations ont eu pour rôle d’aider les nouveaux arrivants à s’intégrer, notamment avant et pendant le Bumidom, pour leur faciliter l’accès aux aides sociales et les accompagner dans leurs démarches administratives. La sociabilité a perduré. Le partage et la transmission de la culture sont devenus un point essentiel pour l’ensemble de ceux qui ont des liens associatifs.

Par conséquent, il apparaît dans les textes du corpus et en fonction des auteurs, des espaces à plusieurs échelles, dans plusieurs domaines : échanges de biens, humains. Ce qui nous conforte donc dans le fait de faire évoluer la notion d’insularité dans une nouvelle acception, « celle d’ouverture et non de fermeture impliquant également l’échange et la circulation »  (Ranély Vergé-Dépré, 2014)[12]. Mais l’insularité qui « implique une dynamique particulière de liens entre acteurs... [qui] rend nécessaire [leur] mobilité ... et invite à l’établissement de liens-ponts ... peut dans certains cas perturber les systèmes de représentations locales (conflits de valeurs et d’intérêts, difficulté des populations autochtones à endogénéiser les principes, règles et normes véhiculés par les allochtones) » (Angeon et Saffache, 2008).


Les systèmes relationnels qui permettent une continuité territoriale

Si nous avons déjà abordé le système social relationnel mis en place par les autorités politiques pour répondre à une problématique économique en évoquant le Bumidom, il est nécessaire de revenir sur le cadre institutionnel et politique qui a permis la mise en place de ce système.

La départementalisation apparaît comme élément fondamental ayant permis les migrations tant dans le cadre du Bumidom qu’en dehors. Comme nous le rappelle Audrey Célestine (2012), « à partir de la départementalisation de certains territoires de l’outre-mer, ces derniers sont complètement assimilés à la République française et sont ainsi considérés comme français à part entière. Dénoncer la migration massive des Antillais pouvait ainsi passer pour une remise en cause de ce principe républicain. » De ce fait, la migration organisée par l’État était de façon générale considérée comme positive en faveur des territoires insulaires et de leurs populations. Car c’est tout un contexte qu’il s’agit de prendre en compte. Les ultramarins sont entrés, avec la départementalisation, dans le système de l’assimilation, et ont bénéficié par conséquent des mêmes cadres législatifs (avec quelques adaptations possibles en fonction des domaines) que les autres territoires de la métropole : « enseignement primaire et secondaire calqué sur les systèmes métropolitains [...], mêmes dispositifs sociaux que les autres Français » (Haddad, 2018).

Quand Thierry Nicolas (2001) identifie « les relations entre la circulation et [la] départementalisation [dans les Antilles françaises] et les changements intervenus dans la conception antillaise de l’insularité », c’est bien d’un cadre institutionnel (politique) dont il est question. La départementalisation a permis l’essor des relations économiques et commerciales, et par conséquent « l’acheminement de marchandises ». Le « pont [jeté] entre les Antilles françaises et l’Hexagone » (Nicolas, 2001) a aussi bénéficié aux populations : les comportements, les mobilités ont alors modifié la perception des distances géographiques des insulaires. Outre Thierry Nicolas (2001), Colette Ranély Vergé-Dépré [13]montre ainsi la continuité territoriale permise par les transports. « L'État doit ainsi assurer l'unité nationale et la cohésion territoriale par divers dispositifs qui relèvent de la justice spatiale. »

La départementalisation, doublée de l’assimilation apparait donc bien chez les auteurs comme un cadre propice aux échanges, tant commerciaux qu’humains, et représente par conséquent ce « système relationnel qui lie socialement, économiquement, voire politiquement, plusieurs lieux dispersés et distants » (Cortès et Pesche, 2013).

            On peut ainsi résumer à travers le schéma 2, l’insularité de la Martinique, entre le paradigme de l’espace et celui du territoire. L’espace humain transocéanique identifié par Thierry Nicolas (2001) et l’espace de vie transatlantique par Stéphanie Condon (1996), seraient modifiés par les mobilités et les circulations. Les phénomènes de multirésidence observés par Stéphanie Condon (1996), l’importance de l’association comme lieu de sociabilité et de solidarité en France métropolitaine, couplé avec le contexte parallèle de patrimonialisation dans l’île auraient permis de produire la dimension matérielle du territoire insulaire dont ont parlé Françoise Pagney Bénito-Espinal et Thierry Nicolas (2009). C’est la « sémantisation de l’espace » défini par Claude Raffestin à l’échelle de l’île. Si les nouveaux modes d’habiter entre deux pôles ont permis une nouvelle territorialisation, comment la définir ?

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Schéma 2 : Insularité : entre les paradigmes d’espace et de territoire

 

 

Pluralité et variabilité des situations

« Une situation est donc toujours relative et changeante. Autrement dit, le territoire multisitué se construit, se lit, se décrypte à la façon d’un kaléidoscope, c’est-à-dire dans la pluralité et la variation de la situation relative et relationnelle de chacun des lieux et des réseaux qui le constituent » (Cortès et Pesche, 2013).

 

Trois articles du corpus (Condon, 1996 ; Condon et Pourette, 2013 ; Vaschalde-Florentiny et Dorion, 2011) permettent de donner des exemples de situations collectives et individuelles concrètes et contrastées. Les autres articles consacrés aux enquêtes de terrain, donnent aussi une vision de la réalité de la migration chez les populations insulaires étudiées.

 

Au niveau collectif

« Qu'ils aient ou non leur résidence principale à Ouessant, les insulaires d'aujourd'hui ont pour la plupart un double espace de vie. Peut-être est-ce une nouvelle façon de vivre l'insularité dans une île bordière, désormais rapprochée du continent par des transports plus variés, plus rapides et plus réguliers (complémentarité avion-bateau), même s'ils sont jugés encore insuffisants par nombre d'insulaires, même s'ils sont régulièrement critiqués sur le continent à cause de leur coût élevé pour le département et la région. Le fait insulaire a changé de nature, l'insularité n'est plus indivisible et tranchée. L'insularité tout court a fait place à une notion différente, celle de degré d'insularité, qui s'exprime d'abord en fonction du temps passé sur ce fragment de terre entouré d'eau, qui n'est plus (pour l'instant) isolé, sauf pendant des laps de temps très courts, ce qui est d'ailleurs de plus en plus mal supporté. L’objectif étant de trouver quelques tendances qui ressortent des enquêtes menées par les scientifiques des différentes disciplines » (Péron, 1988).


Déjà en 1988, cet auteur se demandait ce qu’était une population insulaire en prenant comme cas d’étude l’île d’Ouessant, et avec l’objectif d’expliquer entre autres les raisons du retour définitif des insulaires dans leur île natale pour ceux qui en étaient partis, ou l’installation de nouveaux arrivants. Dans un contexte de vieillissement de la population et de départ des jeunes, il s’est révélé de nouveaux modes d’habiter, de pratiquer l’espace insulaire, avec notamment des séjours réguliers des îliens ouessantins installés sur le continent.

C’est aussi le cas pour la Martinique, et sans doute pour bien d’autres territoires insulaires ou continentaux : les espaces de vie des insulaires martiniquais de la diaspora en France métropolitaine sont très marqués par les séjours dans leur île natale. L’élément commun est la possibilité qu’ont eue les migrants insulaires, travaillant dans la fonction publique, de bénéficier des congés bonifiés. Ce système de prise en charge financière tous les 3 ans des billets d’avion aller-retour des originaires d’outre-mer pendant leurs vacances estivales a ainsi permis à de nombreux ultra-marins d’occuper cet espace « transatlantique » généralement pour une durée de 2 mois. Ainsi, l’« espace de vie transatlantique » a permis pour une partie des « générations du Bumidom » de se rendre dans leur île tous les 3 à 5 ans pendant leur vie active, puis avec une diminution de la fréquence des déplacements. On comprend ainsi dans l’étude de Stéphanie Condon (1996) que le lieu d’origine passe progressivement, en fonction des parcours personnels, de l’espace concret à l’espace symbolique, dans l’espace vécu des ultramarins.

Cette évolution est visible dans l’ensemble des enquêtes, et reflète une évolution des dynamiques, en réalité mise en place bien avant le Bumidom. Ainsi, Michel Giraud et al. (2009) ont mis en évidence les différentes « stratégies identitaires » des vagues de migration : de l’entre-deux-guerres à la fin des années 50, les auteurs ont remarqué « une puissante volonté de la part de la majorité des immigrants antillais d’être pleinement intégrés à la société métropolitaine », en pleine période de « l’effervescence musicale du ”Paris noir” [et de] la véhémence du cri des écrivains de la négritude ». A noter que cette première vague était constituée essentiellement d’une classe moyenne, à ce moment peu nombreuse. La deuxième vague, à compter des années 60, plus massive s’accompagne aussi d’une plus forte mobilisation « autour d’une identité collective particulière et emblématique » (Giraud et al., 2009). Se développent alors les revendications spécifiques adressées à la société française, et notamment celles concernant la « reconnaissance du crime esclavagiste » (Giraud et al., 2009), portée par les différentes associations. On comprend ainsi que l’ancienne vague ait été mieux intégrée que la seconde.

 

Au niveau individuel

Chez les primo-migrants, la mobilité géographique des ultramarins était motivée par une mobilité professionnelle, et par conséquent, sociale. Les parcours sont variés, et les motivations à la migration le sont tout autant. Si certains migrants sont partis sous la contrainte économique, d’autres y voyaient l’opportunité d’avoir leur indépendance, aspirant à de meilleures conditions de vie (Condon, 1996 ; Palmiste, 2012). Certains ont gardé des liens étroits avec leurs proches, revenant régulièrement dans leur famille, d’autres ont vu leurs liens familiaux se distendre. Ainsi, l’enquête de Danièle Vaschalde-Florentiny et Georges Dorion réalisée en 2011 qui étudiait les migrants du Bumidom ayant décidé de passer leur retraite au Havre révèlent des choix de vie qui parfois évoluent au cours des années, vers un maintien sur le lieu de vie professionnelle, afin de garder le lien social tissé pendant de nombreuses années, mais aussi un maintien du lien familial avec les enfants restés sur place. Ces choix sont d’autant plus simples que les relations avec le lieu d’origine ne sont plus que symboliques. Mais doit-on y voir aussi « l’épuisement du mythe du ”retour au pays natal” proposé par Aimé Césaire » (Vaschalde-Florentiny et Dorion, 2011) ? Dans tous les cas, chaque migrant a droit à « l’heure de vérité » (Giraud et al., 2009) où la question du choix du retour se pose. Et donc il se peut que « la perspective du retour au pays [...] s’estompe » (Giraud et al., 2009).

Chez les enfants des primo-migrants, la situation est tout aussi contrastée : « ils sont diversement imprégnés de la région d’origine de leurs parents et de leurs propres expériences des Antilles ou de la Guyane ... » (Condon et Pourette, 2013). La plupart revendique cette « double culture », et ce, y compris ceux ayant eu une mauvaise expérience (dite discriminatoire) aux Antilles ou en Guyane qui les aurait marqués. Certains se revendiquent clairement « d’origine », ce qui passe par la famille présente « là-bas » et les séjours effectués, la culture transmise par les parents, voire le simple fait de s’intéresser à ce qui s’y passe. Dans beaucoup d’entretiens, la culture et plus précisément la langue créole apparaît comme un élément de maintien d’un lien symbolique avec l’île d’origine des parents. Ces derniers tiennent à la leur communiquer. « La langue créole ressort, à la lumière des entretiens menés, comme le plus solide symbole d’appartenance à une même communauté, le meilleur vecteur de réunion des membres de la diaspora antillaise » (Vaschalde-Florentiny et Dorion, 2011).

  


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Schéma 3 : Espaces et territoires formés entre les deux pôles

 



            Le schéma 3 peut être considéré comme une représentation cartographique de l’espace et du territoire construits entre les deux pôles que sont l’île de la Martinique et l’Hexagone. L’île créole est ainsi la synthèse de cultures que l’on pourrait dire « premières », venant essentiellement d’Afrique, de France métropolitaine et d’Asie, voire du Moyen-Orient après l’abolition de l’esclavage. D’un côté, l’espace représenté par les principaux flux de nature commerciale et de transferts financiers de l’Hexagone vers l’île ; dans le sens inverse, les principaux flux migratoires initiés notamment dans le cadre du Bumidom. Ces flux se réalisent dans un espace géographique fixe, la Martinique étant distante de sa métropole d’environ 7 000 km. Un espace métropolitain qui permet la constitution d’« espaces associatifs » (Célestine, 2012). Même si nous ne le traitons pas, nous avons choisi de représenter les flux des Martiniquais vers d’autres destinations, qui montrent ainsi l’ouverture sur le monde. De l’autre côté, le territoire dit multisitué qui fait référence à cette ouverture, mais qui tient principalement pour socle et pour origine le rapport au territoire métropolitain. Ainsi, c’est une distance mentale réduite qui correspondrait à un éloignement de 8h (d’avion) et permettrait les « migrations fugaces » évoquées par Thierry Nicolas (2001), créant une « hypo-insularité ». Les martiniquais peuvent relier les deux pôles (pour ceux qui en ont les moyens financiers) avec facilité et rapidité, mais surtout des lieux de chaque pôle. Nous ne l’avons pas représenté sur la carte, mais il faudrait aussi prendre en compte, dans un contexte de mondialisation, les nombreux échanges avec le reste du monde, flux des touristes et des martiniquais vers l’ensemble des pays du monde, participant ainsi au processus de créolisation.

 

Quelle territorialisation pour la société créole martiniquaise ?

Traiter des espaces formés entre l’île de la Martinique et l’Hexagone a amené à traiter des « identités antillaises », thème largement abordé dans la littérature scientifique.

La territorialité est marquée par l’insularité et se révèle variée en fonction du temps long, des situations individuelles et collectives marquées par une certaine mobilité, désormais caractéristique des modes d’habiter. Pour reprendre la question de Geneviève Cortès et Denis Pesche (2013), « en quoi les dynamiques sociales, culturelles et économiques qui répondent à des logiques archipélagiques et réticulaires plus qu’aréolaires ”font territoire” ? Et peut-on y faire un parallèle avec la créolité ?

La créolité se veut ouverture au monde, tout comme l’insularité. Elle se veut aussi multiple, comme les lieux d’ouverture offerts par l’insularité. Elle peut être envisagée comme constante dans le temps par les multiples opportunités d’ouverture qu’elle offre sur les autres cultures du monde tout en gardant un « socle ». Est-il permis de considérer l’insularité, déjà associée précédemment à la territorialité, fortement marquée par la créolité ? Ulrich Fleischmann (1984)[14] cité par Stéphane Gombaud, avait en 1987 proposé ce rapprochement entre insularité et créolité, estimant que la créolisation serait favorisée par l’insularité. Avec cependant une tendance des insulaires créoles à se replier sur eux-mêmes ou à s’expatrier.

Les analyses peuvent encore être multiples sur le territoire insulaire, et les mobilités qui le caractérisent. Notamment en revenant sur la définition de l’habiter de Mathis Stock (2001) et de l’analyse faite par Pascal Clerc (2012) quand celui-ci considérait le rapport des touristes à leur territoire de villégiature : on peut constater pour les ultramarins un ”flou” au niveau de cette identité présentée comme déjà complexe. En effet, pour entretenir ce lien avec leur lieu d’origine, ils se voient invités à la mobilité vers celui-ci, souvent pendant une période de vacances. Le lieu de recréation identitaire est aussi celui de la recréation nécessaire en période de vacances ou de récréation, en faisant référence aux travaux de Rémy Knafou (2013)[15]. Pour ces ultramarins installés dans l’Hexagone, l’île serait un lieu hors du quotidien dans la pratique, qui existerait néanmoins de façon symbolique à travers la culture, la langue, la musique et les associations.

En termes de mobilité à l’échelle de l’île, la question du transport en commun est fondamentale. De nombreuses publications ont déjà démontré la nécessité de mettre en place un réseau efficace de transports en Martinique, et nous avions aussi travaillé sur le projet de Transport en commun en site propre (Pélis et al., 2009), TCSP désormais en circulation. Lors de notre réflexion sur les Temporalités de l’île, nous nous interrogions sur la corrélation entre les difficultés à se déplacer sur l’île, et la nécessité pour de nombreux jeunes à chercher cette mobilité ailleurs, et notamment dans l’Hexagone. Aujourd’hui encore, il semble nécessaire pour les acteurs publics « d’améliorer le cadre de vie et le bien-être des populations » en choisissant de « mettre en place une politique intégrée de l’aménagement du territoire martiniquais dans une perspective de développement durable », tout en incitant les habitants « à modifier leurs habitudes de mobilité au profit de modes de transport plus sûrs, plus fiables et plus respectueux de l’environnement» (Pélis et al., 2009).

De plus, si nous abordons sans la détailler la famille martiniquaise, les travaux continueront sur ses nouvelles configurations et leurs conséquences spatiales à plusieurs échelles. A l’échelle individuelle d’abord, on comprend au travers des mobilités que la structure familiale ”a évolué”, géographiquement du moins. D’une part des enfants-adultes loin de leurs parents âgés restés en Martinique, et d’autre part, des parents âgés après avoir effectué leur vie professionnelle en métropole qui peuvent faire le choix de retourner dans leur île natale, et donc encore loin de leurs enfants-adultes.

Par exemple, en cette période de crise sanitaire liée au Covid-19, la chaîne publique d’informations Martinique la 1ère donne à voir chaque soir au cours du journal télévisé de 19h un échantillon des Martiniquais de la diaspora à travers le monde et de la façon dont ils vivent la situation de crise sanitaire. Ainsi peut-on voir aussi la façon dont ils gardent le lien avec leur famille et leur île. Sur leur site internet, un exemple a été donné d’une famille martiniquaise, éclatée géographiquement entre la Martinique où réside une mère et une de ses trois filles, deux autres filles étant installées pour l’une à Paris et pour l’autre en Belgique[16]. Malgré l’éloignement géographique, les liens sont maintenus. Ce qui d’ailleurs, dans la situation de crise, a fait dire à certains géographes que la demande de distanciation sociale en ce temps de crise est bien une distanciation spatiale, qui invite tout de même à maintenir les liens sociaux et de solidarité, de manière différente. À l’échelle de l’île ensuite, c’est donc la question de l’avancée en âge de ces martiniquais (es) et de leur accompagnement qui se pose. Comment les acteurs publics et privés peuvent-ils palier cette ”absence” et maintenir ces personnes indépendantes le plus longtemps possible?

Au-delà de ces questions, se pose notamment, en cette période de crise sanitaire, celle des mobilités et de leurs effets indirects peu compatibles avec les principes de durabilité. Les transports sont émetteurs de gaz à effet de serre. Dans une volonté d’atteindre les seuils prévus dans le cadre des différents accords internationaux, cela remet en cause le modèle économique des îles qui donnerait une place importante au tourisme ainsi que la construction identitaire, tous deux sous-tendus par l’hyper mobilité.

Ainsi, le quatrième schéma pourrait résumer le passage de l’espace insulaire au territoire multisitué. Il faudrait comprendre, en plus de la dimension multiscalaire, un processus temporel qui permet, au cours des décennies et des pratiques de mobilités, de passer de l’espace insulaire à un territoire ouvert sur le monde. Il faut aussi lire ces processus comme en interaction les uns avec les autres, ce qui n’apparaît pas sur une représentation schématique simplifiée.

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Schéma 4 : De l’espace insulaire au territoire multisitué



 

Conclusion


En définitive, au vu de ce qui précède, nous pourrions dire du concept de territoire multisitué qu’il pourrait s’appliquer à la Martinique. La société martiniquaise peut être considérée comme une diaspora créole. Elle serait multiple dans les rapports qu’elle entretient avec les espaces qu’elle investit, mais unie dans sa caractéristique de poursuivre depuis des décennies le schéma centrifuge qui la met constamment en relation avec l’extérieur, avec des ailleurs, d’autres territoires, mais plus spécifiquement avec l’Hexagone. La discontinuité et la dispersion sont constitutives tant de l’île Martinique (insularité-isolement) que de la société créole qu’elle produit en termes de diaspora (insularité-échanges).

Les espaces qui peuvent être considérés le sont à différentes échelles, mais qui s’insèrent tous dans un système relationnel, celui de la départementalisation en tant que structure institutionnelle, politique, permettant un système social général de dynamique migratoire, accentué par le Bumidom à partir de 1963. Achevé en 1981, ce système relationnel se poursuit pourtant sous différentes formes, et avec des conséquences variées selon la temporalité considérée, la population choisie (primo-arrivants, descendants), les expériences individuelles avec l’espace insulaire. Ainsi, passe-t-on des espaces formés par les échanges aux différents territoires. Les identités territoriales traduisent en fonction des disciplines une approche communautaire, ou à l’inverse totalement individualiste. On peut aussi y voir une évolution temporelle de la structuration des communautés, jadis rendues peu visibles par les auteurs, désormais davantage manifestées, notamment au travers des enquêtes plus récentes.

Evoquer le concept de territoire multisitué pourrait donner une image de totale intégration de la population ultramarine à l’ensemble métropolitain. Si une intégration de la population ultramarine peut être constatée à l’échelle nationale, au sein de la République française une et indivisible qui prône l’égalité entre les territoires (quoique ces territoires ultramarins aient des statuts spécifiques), la question peut se poser à l’échelle individuelle quand les ultramarins se retrouvent confrontés à certaines discriminations, qui ressortent parfois des entretiens et enquêtes menés par les scientifiques au cours de leurs travaux de recherche.

On peut alors poser la question de la situation de marge spatiale pour la Martinique, et plus globalement de l’ensemble des outre-mer. Peut-on aussi parler de marge spatiale de la France métropolitaine quand on tente de traiter d’un espace Martinique-Hexagone, au travers d’un territoire multisitué ? Parler de marge renvoie généralement à une situation relative, spatiale et temporelle. Mais la particularité du concept réside surtout dans le fait que les marges existent au sein même des espaces qui peuvent être considérés comme centraux, et que leur condition évolue dans le temps. On peut donc évoquer le fait que les petits espaces insulaires, tout en faisant partie d’un territoire multisitué,  puissent en être des marges. Il s’agira alors dans les prochaines études, de faire dialoguer ces deux notions.

 

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[1] Contractuelle en aménagement de l’espace, Université des Antilles, AIHP-GEODE (EA 929).

[2] Professeur des Universités en aménagement, Université des Antilles, AIHP-GEODE (EA 929).

[3] Ranély Vergé-Dépré C. : Contributions à l’étude d’un couple « paradoxal » : transports et territoires insulaires. Approche théorique et méthodologique.

[4] Expression utilisée pour la partie de la France qui se situe sur le territoire européen, par rapport à ses territoires éloignés appelés territoires d’outre-mer. Les termes de France métropolitaine ou d’Hexagone seront aussi utilisés.

[5] Ibidem.

[6] En géographie, la plus grande échelle correspond aux espaces les plus restreints

[7] Glissant E., 1981, Le discours antillais, Paris, Editions du Seuil.

[8] Chamoiseau P., 1994, Texaco, Paris, Gallimard.

[9] Affergan F., 1983, Anthropologie à la Martinique, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques.

[10] Bougerol C., 1987, « L’involontaire retour des morts aux Antilles », in Études rurales, n°105-106, p.65-78.

[11] Dans le cadre d’une étude commandée par l’ANT (Agence Nationale pour l’Insertion et la Promotion des Travailleurs d’Outre-mer, organisme qui a remplacé le Bumidom en 1983).

[12]Géotransports [En ligne], No.3, 2014, Dossier "Transports et territoires insulaires". URL : http://geotransports.fr/n-3/

[13] Ibidem

[14] Fleischmann U., 1984, El Caribe y América latina [Texte imprimé] : actas / del III Coloquio interdisciplinario sobre el Caribe efectuado el 9 y 10 de noviembre de 1984.

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