La Martinique : du « petit espace insulaire »[1] au petit territoire gérontologique de la prévention
- insularite
- 19 juil. 2022
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Dernière mise à jour : 15 juin 2024
Le 19 juillet 2022
D’ici 2030 la Martinique sera confrontée à un vieillissement accentué de sa population, selon les études de l’INSEE et de l’INED. Elle devra donc faire preuve de résilience afin de prendre en charge sa population de grandes personnes[2] qui est caractérisée par une dépendance plus précoce et plus prononcée qu’en France métropolitaine. Le terme de résilience est emprunté à l’écologie et traduit la capacité d’un organisme à retrouver son stade initial après un choc, définition aussi valable en psychologie. L’approche de la géographie qui traite du développement durable et la recherche d’un équilibre entre les piliers que sont le social, l’environnement et l’économie a ajouté, au travers des travaux de Pascal Saffache et Valérie Angeon (2008)[3] la notion de résistance au choc : comment la société insulaire de Martinique sera-t-elle en capacité de résister au choc dans le domaine de la santé publique, au vue de la baisse des solidarités familiales (quoique beaucoup plus élevées qu’en France métropolitaine), de la baisse des finances publiques, des multiples vulnérabilités des espaces et des fragilités des populations ?
Le travail de recherche qui est mené en géographie sociale et aménagement du territoire considère les déterminants sociaux et environnementaux, dans la lignée des travaux de Pascal Saffache et Valérie Angeon (2008) comme facteur de cette résilience : à la cohésion sociale des auteurs, est ajouté la tradition de l’entraide ou koudmen en créole, pour mettre en place des mesures de prévention de la perte d’autonomie dans les territoires. La prévention, qui constitue l’ensemble des dispositifs primaires (avant la survenue d’une maladie, en situation de pré-retraite, retraite, après la retraite), secondaires (pour éviter l’aggravation après survenue d’une maladie), et tertiaires (éviter aussi une plus forte aggravation en institution) s’entend au sens du bien-vieillir concernant les personnes âgées de 60 ans et plus. Cette notion du bien-vieillir a fait l’objet de politiques publiques mises en place au niveau national à partir de 2002-2003, notamment après la Conférence de l’OMS (2002). « Paradigme sociétal », « référentiel pour mener sa vieillesse à bien », « ligne directrice des politiques publiques », Brigitte Nader a défini en 2013 le bien-vieillir selon trois acceptions que l’on pourrait tout à fait regrouper en deux. Le bien-vieillir englobe donc les actions de préventions de la perte d’autonomie sans s’y réduire : pour la mise en place des politiques publiques, les organismes de sécurité sociale, en Martinique la Caisse générale de sécurité sociale (CGSS) avait dès 2014 choisi de traduire les orientations faites au niveau national par l’Interregime[4] en lançant un appel à projet (AAP) à destination des acteurs locaux.
Notre analyse géographique des appels à projets lancés par la Conférence des financeurs de la prévention de la perte d’autonomie (CFPPA) entre 2017 et 2020 – en conformité avec la loi Adaptation de la Société au vieillissement (ASV) de 2015 qui la met en place – permet donc d’avoir une analyse du passage de « petit espace insulaire » au territoire gérontologique de la prévention co-construit par les acteurs dans le cadre de cette résilience. C’est l’analyse de la co-construction d’un territoire par les acteurs. Ce qui permet aussi de traduire les temporalités diverses des acteurs, car le temps est pour Nathalie Bernardie-Tahir (2011)[5] un « […] construit social, produit de l’agrégation parfois conflictuelle de plusieurs temporalités : celle de la logistique, du mouvement, […] ». Dans le cas du bien-vieillir, les temporalités seraient celles de la prise en compte des personnes déjà identifiées comme fragiles et celles considérées à risque de le devenir.
Comment se traduit ce passage au territoire de la prévention ? Quelles dynamiques de solidarité peut-on observer et en faveur de quel type d’espace ?
Notre méthodologie reposait donc essentiellement sur l’analyse statistique des réponses des appels à projets reçus par la CFPPA d’une part, et sur l’analyse des documents de planification doublés d’entretiens semi-directifs avec les institutions d’autre part. Après avoir construit une matrice d’information géographique à partir des données de présentation des projets bien-vieillir, il est possible de distinguer les projets présentés par commune de domiciliation des structures des actions déclinées par ceux-ci et présentés par commune d’intervention. A noter qu’un projet pouvant être décliné dans plusieurs communes. Les classifications par ascendance hiérarchique (CAH) ont permis de regrouper les communes en fonction des indicateurs retenus.
Ainsi, si on peut observer une organisation centre-périphérie des projets proposés par les acteurs à la CFPPA de Martinique entre 2017 et 2020, les thématiques déclinées révèlent une organisation proche des intercommunalités ou bassins de vie, malgré une baisse relative des projets sur la période.
I. Les « petits espaces insulaires » : une solidarité des porteurs de projets qui s’organise du centre vers les périphéries
Les appels à projets lancés entre 2017 et 2020 ont permis à 89 structures de déposer 234 projets qui ont été déclinés en 2 108 actions : quelle répartition peut-on observer ? Comment s’organisent les réseaux de la solidarité ?
A. Les porteurs d’initiatives majoritairement concentrés dans les zones urbaines
L’essentiel des porteurs de projets sont situés dans l’agglomération centre constituée de la ville capitale Fort-de-France, des communes urbaines[6] de Schoelcher et du Lamentin, mais aussi de la commune périurbaine du littoral centre-atlantique comme le Robert. Entre 2017 et 2020, près de 90 structures implantées sur 25 communes ont répondu aux AAP de la CFPPA de Martinique : 29% domiciliées sur la ville de Fort-de-France (26% des 234 projets), 13% sur celle de Schoelcher (11% des projets), 9% au Lamentin (6% des projets) et aucune à Saint-Joseph. La commune du Robert a proposé 12% des projets grâce aux 6% des structures implantées sur son territoire. Michel Desse (1998)[7] qui analysait les phénomènes de polarisation urbaine en Guadeloupe, Martinique et Réunion parlait d’« axe actif central », allant de Schoelcher à Sainte-Marie. La répartition des acteurs de la solidarité en faveur du bien-vieillir suit celle des actifs et des activités classiques : Michel Desse analysait l’indice fonctionnel commercial.

On retrouve sur l’ensemble du territoire ce qu’on peut observer entre les communes du Lamentin et du Robert : des pourcentages variables de structures et de projets. La commune du Lamentin domicilie plus de structures que celle du Robert, mais celles-ci ont proposé moins de projets sur la période étudiée. On observe donc les dynamiques différentes des solidarités des acteurs locaux dans ce cadre de réponse aux appels à projets.
La commune de Basse-Pointe, en proposant près de 8% du total des projets (soit deux fois plus que la moyenne des communes) et celle du Morne-Rouge avec 5% apparaissent comme des communes relais dans la partie nord de l’île. Dans la partie sud, seule la commune de Rivière-Salée propose 6%, soit une part supérieure à la moyenne des communes. Avec quelle diffusion ?
L’analyse du pourcentage de projets dont les actions doivent être déclinées en dehors de la commune de domiciliation des structures révèlent une moyenne de 2,94% : en plus de l’« axe actif central » (Desse, 1998) de Schoelcher (11,16%) au Robert (16,63%), en passant par Fort-de-France (33,76%) on obtient d’une part une opposition des communes sur la côte atlantique qui proposent davantage d’actions en dehors de leur commune que celles situées sur la côte Caraïbe, et d’autre part, un pôle situé au sud où le pourcentage d’actions proposées en dehors de leur commune est légèrement inférieur à l’ « axe actif central » mais supérieur aux autres communes. Ce pôle est constitué des communes de Rivière-Salée (6,11%), Rivière-Pilote (3,14%) et Sainte-Luce (4,4%).
L’agglomération centre des communes urbaines constitue avec la commune périurbaine de Saint-Joseph l’intercommunalité de la CACEM : Communauté d’Agglomération du Centre de la Martinique. Elle concentre en effet la grande majorité des activités constituant le cœur économique de l’île et engendre une véritable polarisation faisant Laurent Jalabert (2007)[8] et Michel Desse (1998) reprendre l’expression employée par l’écrivain Patrick Chamoiseau (Jalabert, 2007) d’ « île-ville ». La CACEM forme un « continuum urbain » : de celui-ci part un desserrement où l’urbanisation reste pourtant constante dans le paysage par le phénomène du mitage. Laurent Jalabert (2007) met en évidence, au-delà de la description morphologique autrement dit paysagère, la définition phénoménologique où les habitants ne feraient plus de distinction entre les différents types d’espaces, notamment entre l’urbain et le rural.
L’espace de vie a progressivement évolué : d’un espace très rural agricole avant les années 1950-1960, l’exode rural qui a lieu pendant cette période suite à la fin du système de plantation entraine une forte urbanisation, qualifiée d’« anarchique » par Laurent Jalabert (2007) avant de se diffuser à nouveau dans les communes périphériques dans les années 1980-1990. Même si Michel Desse (1998) estimait que le phénomène de mitage marquait les espaces et les paysages dès 1946. L’auteur pour cela remettait en cause dans ses écrits la pertinence de l’utilisation de critères pour partie inappropriés : il était nécessaire de prendre en compte le phénomène de migrations pendulaires afin de traduire au mieux les espaces concernés.
En prenant en compte la définition faite en 2020 par l’INSEE sur les zones en aires d’attractivité des villes (ZAAV), on retrouve néanmoins cette distinction spatiale entre les trois types d’espaces : en s’appuyant sur les migrations pendulaires, c’est-à-dire les mobilités quotidiennes des actifs entre leur lieu de travail et leur domicile, la périurbanisation est visible sur la Carte 1 Typologie des espaces de la Martinique en 2017 à l'échelle des communes (ZAAV 2020).
En partant des analyses de Gérard-François Dumont (2006)[9] qui précise que les populations ont désormais tendance à vieillir sur place et quand celles-ci sont essentiellement situées dans les espaces urbains et périurbains, la solidarité collective en matière de prévention faite par les acteurs locaux et s’appuyant sur le temps long devrait s’exprimer envers ces territoires mis en évidence par l’analyse de la ZAAV (2020). Si l’auteur a montré que les combinaisons de l’évolution des phénomènes de gérontocroissance et du vieillissement sont nombreuses, une analyse de ces deux phénomènes en Martinique a révélé : d’une part une sur-représentation du vieillissement à mesure que la distance au centre augmente, une gérontocroissance variable, et d’autre part la combinaison des deux phénomènes sur les deux communes du Carbet et du Morne-Vert. En effet, ces deux communes avaient sur la période de 1990 à 2016 enregistré une sur-représentation des deux phénomènes.
Ainsi, la solidarité territoriale en termes d’initiatives est davantage portée par les communes urbaines du centre de la Martinique, à savoir l’EPCI de la CACEM, et elle devrait davantage s’exprimer envers les espaces périurbains caractérisés par une sur-représentation des phénomènes de vieillissement et de gérontocroissance. Que peut-on observer ?
B. Les réseaux de solidarité territoriale bénéficient aux périphéries
La déclinaison des actions par commune d’intervention montre une répartition où le centre concentre aussi de forts pourcentages. Les projets déposés par les structures à la CFPPA se déclinent en actions en fonction du nombre de communes dans lesquelles la structure prévoit de développer les activités collectives de prévention de la perte d’autonomie. Ainsi, un projet peut donner lieu à cinq actions si cinq communes sont mentionnées par la structure : c’est la portée des actions et d’une certaine mesure la diffusion territoriale des projets (en l’absence de la diffusion effective qui serait mieux évaluée à l’aide des communes des bénéficiaires des actions). Pour rappel, sur la période les 234 projets ont été déclinés en 2 108 actions. La répartition spatiale est donc la suivante : un continuum urbain-périurbain allant de la commune de Schoelcher (qui a reçu la plus forte concentration d’actions) et la commune de Trinité au centre-centre-Atlantique (les communes du Robert et de Trinité faisant partie de l’EPCI Cap Nord), deux communes au Nord, Basse-Pointe et Morne-Rouge, et une commune au sud, Rivière-Salée.

A l’échelle des EPCI, la diffusion des actions collectives de prévention visible sur la Carte 2 est plus importante dans les communes du nord de l’île que dans le sud. L’EPCI de Cap Nord a en effet bénéficié de 52 % des actions sur la période, quand la CAESM, la Communauté d’agglomération de l’espace sud de la Martinique a enregistré 34%. Seuls 14% des actions ont été déclinées dans le centre sur le territoire de la CACEM.
Comment se traduit la solidarité entre les EPCI ? Nous avons analysé les communes qui recevaient des actions de structures implantées dans des EPCI différents du leur : de façon générale, c’est l’EPCI de Cap Nord qui compte le plus de communes dans ce cas : elles sont situées sur la côte Caraïbe, et donc majoritairement rurales. Mais la commune rurale du Vauclin située dans le sud-est de la Martinique est celle qui compte le plus fort pourcentage d’actions de structures implantées dans un autre EPCI que la CAESM.
L’analyse par typologie d’espaces montrent que si 43% des projets proviennent des structures implantées en espace urbain ceux-ci sont répartis de façon quasi équitable entre espace rural qui bénéficie de la majorité avec 47% des actions déclinées, et l’espace périurbain qui en concentre 42% ; l’espace urbain ne bénéficiant que de 11% des 2 108 actions déclinées.
Si l’analyse des typologies (Dumont, 2010) précisent que les espaces urbains à périurbains seraient à couvrir en tenant compte du facteur du temps long, quelle évolution peut-on observer à l’échelle des communes sur la période 2017-2020 ?

La CFPPA a reçu sur la période moins de projets de la part des structures : 24% des projets ont été déposés en 2020 quand 27% étaient déposés en 2017. Les plus fortes baisses apparaissant sur la Carte 3 sont enregistrées dans les communes littorales de la façade atlantique : la commune du François a reçu 53 actions (sur les 2 018 au total), 35 % en 2017 et 20% en 2020, soit une baisse moyenne de -0,7 points. Les communes périurbaines de Trinité, Gros-Morne, et rurales de Grand-Rivière, Macouba, Basse-Pointe, Ajoupa-Bouillon ont enregistré une baisse moyenne comprise en -0,7 points et -0,43 points.
Or ces communes rurales particulièrement du Nord sont celles qui concentrent selon les données de l’Observatoire des fragilités du sud[10] des aînés dont le score de fragilité sociale est le plus élevé de l’île. On serait alors tentés de préciser que ces territoires seraient ceux qui, sur le temps court devraient bénéficier aussi de cette solidarité des acteurs locaux.
A l’inverse les communes centrales urbaines et périurbaines ont enregistré les baisses les plus faibles sur la période. La commune de Fort-de-France est la seule commune à avoir une évolution moyenne positive : 76 actions (sur les 2 108) ont été déclinées en quatre ans avec un nombre supérieur d’actions en fin de période. Sur ces 76 actions, 27% ont été déclinées en 2020, et 22% en 2017.
On pourrait aussi dire que les réseaux de la solidarité s’effectuent des communes urbaines vers les communes périurbaines et rurales ; c’est-à-dire que les projets du centre sont déclinées en actions dans les périphéries. Mais en fonction des échelles retenues : à l’échelle des EPCI, le nord bénéficie de plus de 52% quand les communes urbaines voient sur le temps long une moindre baisse des actions.
II. Une organisation de la déclinaison des actions qui suit les périmètres des intercommunalités des petits territoires gérontologiques de la prévention
Les actions collectives de prévention de la perte d’autonomie déclinées par les acteurs locaux qui bénéficient de compléments financiers en répondant aux appels à projets de prévention de la CFPPA Martinique sont la traduction concrète des politiques publiques du bien-vieillir et peuvent être observées par analyse des thématiques des actions : Alice Rouyer et Lucie Rumeau (2007) ont parlé de régulation sociale[11] pour traduire la territorialisation, c’est-à-dire l’impact territorial des politiques publiques. Celles-ci nécessitent ainsi une coordination interne des membres de la CFPPA.
A. Une « régulation sociale » des politiques publiques de prévention
En observant la Carte 4 (ci-après) Classification des communes en fonction des typologies d'actions BV et de structures, du pourcentage d'actions réalisées par l'ESS et de la gérontocroissance, il est possible de retrouver à quelques communes près les limites des intercommunalités : les déclinaisons des actions couplées aux critères de gérontocroissance, de vieillissement de la population et de la part de projets/actions en fonction des statuts des structures ont été faites par bassins de cohérence territoriale.
Nous avons en effet effectué une classification par ascendance hiérarchique (CAH) pour regrouper les communes en fonction des indicateurs variés : d’une part les thématiques déclinées dans les actions collectives de prévention (bien-être – estime de soi / bien vivre sa retraite, habitat, mémoire, nutrition, activités physique adaptée, équilibre, technologies, sécurité routière, transport, vacances, aide aux aidants), les indicateurs de gérontocroissance et de vieillissement (rapport de vieillissement, indice de vieillissement, indice de fécondité, pourcentage des résidents d’une commune de 55 ans et plus habitant un logement hors de la commune l’année N-1, évolution de la répartition de la population par classe d’âge, degré de fragilité par commune) et enfin les indicateurs des pourcentages d’actions en fonction du statut des structures.
Les deux classes qui se caractérisent par une sur-représentation des pourcentages d’actions sont les classes 1 et 3.

La classe 3 reprend le périmètre exact de l’EPCI de la CACEM. La population de grandes personnes de cette intercommunalité à risque de fragilité est sur-représentée, mais celles-ci ne sont pour autant pas les plus fragiles. Le score moyen de fragilité étant en sous-représentation. Ces populations bénéficient de pourcentages d’actions élevées, réalisées essentiellement par des structures ESS, en majorité à destination des aidants.
La première classe constituée de la seule commune de Basse-Pointe a elle aussi une part sur-représentée d’actions déclinées mais à l’inverse de la classe de la CACEM, sur-représentées par des acteurs du secteur public. Cela ne signifie pas que la majorité des actions déclinées sont effectuées par les acteurs publics, mais que la proportion est supérieure à celle des autres classes. Comme mentionné précédemment, cette commune rurale fait partie de celles où on observe l’un des rapports de vieillissement le plus élevé de 39%, avec une gérontocroissance des jeunes retraités de 24,49%, des plus âgés de 34,61% et où le score moyen de fragilité est sur-représenté ; les aînés ont bénéficié en majorité d’actions de vacances et de transport.
Les deux autres classes sont réparties spatialement dans une logique nord-sud où les limites se rapprochent du périmètre des EPCI de Cap Nord (classe 4) et de la CAESM (classe 2). Les deux classes se distinguent par l’évolution démographique : si les migrations des 55 et 64 ans sont en sur-représentation dans la classe 2, elle est en revanche en sous-représentation dans la classe 4.
Dans l’EPCI Cap Nord, trois communes sont retranchées en plus de la commune de Basse-Pointe déjà évoquée de la classe 1, les communes de Trinité et du Robert sont classées dans le périmètre où les communes du sud sont majoritaires. C’est la classe 4 qui enregistre les valeurs moyennes : des pourcentages d’actions en sous-représentation, avec un score moyen de fragilité en sur-représentation ; les aînés ont bénéficié des actions collectives de technologies.
La classe 2 est majoritairement constituée des communes de la CAESM auxquelles se rajoutent les communes supplémentaires de Trinité, du Robert, mais sont retranchées celles du Vauclin et des Anses-d’Arlet : ce sont surtout les actions d’équilibre que les personnes âgées dont le score moyen de fragilité est en sous-représentation, par opposition à la classe 4, ont pu bénéficier.
L’analyse des thématiques des actions collectives de prévention montrent la formation de territoires par les propositions faites par les acteurs locaux, mais aussi par les instances qui les reçoivent et les valident, déclinées à l’échelle de l’intercommunalité.
B. Une coordination interne nécessaire entre les membres de la CFPPA
Avec le constat que les périmètres qui se sont révélés être proches de ceux des trois intercommunalités, il est possible de se demander comment s’effectue l’arbitrage entre les membres des Conférences des financeurs de la prévention de la perte d’autonomie mises en place par la loi ASV (2015). Quels territoires sont choisis pour la répartition des actions ?
En effet, cette instance est présidée par le Conseil départemental (Collectivité Territoriale de Martinique), appuyée par l’Agence régionale de santé (ARS) qui en a la vice-présidence. Sont membres de droit : la Caisse générale de sécurité sociale (CGSS), un représentant de la Mutualité française, de l’IRCOM, Institution interprofessionnelle de retraites complémentaires de la Martinique, un membre de l’ANAH, Agence nationale de l’amélioration de l’habitat. Les EPCI, tout comme des collectivités territoriales peuvent intégrer sur avis favorable de leur instance délibérative. En Martinique, l’ensemble des EPCI ont choisi d’être membre de la CFPPA et contribuent ainsi à la diffusion des actions de prévention.
On peut donc observer que cette instance favorise la coordination d’acteurs de secteurs variés : le médico-social (CGSS, CTM), le social (CTM), le sanitaire (ARS), et de développement et d’aménagement des territoires (EPCI). Elle prend en compte l’ensemble des 60 ans et plus, tant les aînés autonomes (GIR[12] 5-6) que ceux en perte d’autonomie (GIR 1-4).
Avant la loi de 2015 mettant en place cette instance, la prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées autonomes de GIR[13] 5-6 était menée par la CGSS de Martinique, qui à partir des supports et des orientations de l’Interregime, ont déployé des actions en lançant des appels à projets à compter de 2014. La représentante de cette instance au cours d’un entretien semi-directif a précisé intervenir sur l’ensemble du territoire insulaire, sans faire de découpage territorial pour la mise en œuvre de ses actions de prévention. Avant cette loi de 2015, l’ARS mettait aussi en place des actions de prévention qui prenaient appui sur des politiques publiques de la santé à destination des publics en fonction de leurs pathologies et du Projet régional de santé (PRS) : par exemple, les Plans Bien-Vieillir (2007-2009), Plan Nutrition. De même, des appels à projets ont contribué à décliner ces actions sur les territoires probablement à l’échelle des territoires de santé (nous pouvons supposer en l’absence de réponse précise de la part de cette structure). La CTM a mentionné dans le cadre de ses schémas gérontologiques la nécessité d’intervenir en faveur du public prévu par la loi : des personnes en perte d’autonomie, de GIR 1 à 4. Les EPCI apparaissent donc les seuls à avoir un périmètre d’intervention prédéfini. Au cours d’un entretien semi-directif réalisé avec la CGSS, celle-ci a bien précisé que les EPCI aidaient à définir les zones blanches, grâce à leur bonne connaissance de leurs territoires respectifs. Ainsi, l’instance de la CFPPA doit amener les parties prenantes à coordonner leurs actions, en choisissant des périmètres : nous ne sommes pas parvenue à obtenir des renseignements détaillés sur les choix de cette instance.
L’un des éléments qui permet à ces partenaires de se coordonner est celle de la mutualisation de leurs financements. En effet, la CFPPA fonctionne à partir de deux sources de financements : le premier est celui en provenance de la CNSA, Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie qui abonde la participation financière de chaque membre. Se pose alors la question de la répartition des fonds et des choix opérés par les différents membres. La loi prévoit que les acteurs se basent sur le programme coordonné qu’ils ont rédigé et validé à l’issue d’un diagnostic territorial obligatoire, en tenant compte des six thématiques nationales. Chaque structure peut choisir dans ce cas, sans mutualisation concrète de ne financer que les actions retenues dans le cadre de ce programme coordonné, en accord avec ses propres directives internes. Dans le cas de la Martinique, après avoir comparé les documents nationaux et les documents rédigés par l’instance, nous avons pu effectuer des déductions sans avoir pour autant pu les valider auprès des interlocuteurs, faute d’entretien suffisant. De ce fait, le choix de maintenir les thématiques propres des financeurs apparaissent dans le rapport de bilan 2020 : par exemple, les thématiques ”habitat” et ”accès aux droits”, financés initialement par la CGSS Martinique est bien présente dans les actions mais non prévues dans le cadre des politiques nationales. A l’inverse, au niveau national le rapport 2020 de la CNSA mentionne la thématique ”Prévention de la dépression et du risque suicidaire” qui est absent des appels à projets lancés par la CFPPA Martinique.
En comparant les données présentes dans les documents de planification, les rapports, mais aussi en fonction de certaines analyses statistiques et multifactorielles, nous avons déduit que des quotas pouvaient être attribués par les acteurs, à l’échelle des EPCI. Après la validation technique des projets (validité administrative), la validation politique permet alors de répartir les actions sur les territoires.
Au final, la « régulation sociale » serait le fruit d’une harmonisation entre à la fois les besoins identifiés par les acteurs locaux (CCAS, ESS) dans leur propre diagnostic de terrain, les choix des membres de la CFPPA qui tout en respectant les thématiques retenues dans le cadre du programme coordonné, tiennent compte de l’échelle des intercommunalités pour mettre en œuvre leurs directives propres.
Notre analyse a consisté à voir quels territoires étaient formés à l’issue de la déclinaison des politiques de prévention au travers des actions collectives thématiques. Il ne s’agit pas d’une évaluation de politique publique au sens de la mesure de l’efficacité sur la santé des personnes âgées : celle-ci aurait nécessité de se concentrer sur les apports des actions d’un point de vue clinique. Leur perception aurait tout de même été intéressante à analyser. Mais ce travail est celui de la cohérence d’une politique dans la réponse aux besoins identifiés et les moyens mis en œuvre pour y parvenir. La limite est celle de ne pas avoir pu croiser les données des thématiques les plus développées en fonction des gérontocroissance et vieillissement avec les degrés de dépendance des actions déclinées (les GIR n’étant pas précisé pour les projets).
Et si la coordination interne de cette instance est nécessaire, la coordination externe est aussi un point essentiel. Le territoire gérontologique n’existe pas en tant que tel : le colloque organisé en 2010 sur cette thématique a montré la complexité de la politique publique du vieillissement sur un territoire, et les différentes approches que chaque discipline pouvait en faire. Mais pour prendre en compte la politique de prévention, il s’agit tout de même de penser le territoire le plus pertinent, résultant du processus de co-construction menés par les acteurs locaux et validés par les acteurs publics.
III. Une baisse relative des projets de la part des acteurs sur la période 2017-2020
A. Une décroissance des projets qui n’entraîne pas une diminution des actions
Comme mentionné précédemment la période 2017-2020 est caractérisée par une baisse du nombre de projets reçus par la CFPPA. La plus forte baisse enregistrée intervient entre 2018 et 2019 et est de l’ordre de -40%, qui est aussi celle entre 2017 et 2020.

Les analyses ont révélé que celle-ci était liée à la baisse du nombre de projets déposés par les acteurs du secteur public dans la partie nord de l’île, et plus précisément en espace rural : notamment par les CCAS comme celle de la commune de Basse-Pointe. En effet, on note une baisse de -250% des projets des acteurs publics sur l’ensemble des communes rurales entre 2018 et 2019.
Pourtant, les rapports de 2017 à 2020 transmis par la Collectivité Territoriale de Martinique mentionnaient que le nombre de bénéficiaires avait augmenté. En effet, 1 500 grandes personnes ont bénéficié des actions collectives de prévention en 2017 quand en 2020, 5 013 ont pu y participer.
L’exploitation des données statistiques des projets montre que si on peut constater une baisse de 2018 à 2019 au bénéfice des espaces urbains (corrélation positive entre le nombre annuel d’actions et les espaces urbains), à projets du même ordre de grandeur en 2019, on observe une baisse des actions entre 2018 et 2019 mais une nette progression en 2020, aux bénéfices des espaces ruraux.

A l’échelle des EPCI, quand on évalue les communes qui reçoivent le plus d’actions, on peut constater un continuum de la commune de Schoelcher à celle de Sainte-Luce (pour les EPCI de la CACEM et de la CAESM), et la commune du Robert (pour l’EPCI de Cap Nord). Le pourcentage d’actions déclinées à l’échelle de l’EPCI de Cap Nord est assez faible dans les communes formant une diagonale de Bellefontaine au Marigot, en passant par Morne-Vert, Fonds-Saint-Denis, Ajoupa-Bouillon et Lorrain. Les deux communes recevant le moins d’actions étant Grand-Rivière et Macouba.
De façon générale sur le temps long de la période 2017-2020 ce sont les espaces ruraux qui enregistrent en moyenne des baisses supérieures à celles des espaces urbains (Carte 3), malgré l’augmentation de 2019 à 2020 en faveur de ces espaces ruraux.
B. Une traduction de la résilience ou de l’offre en fonction de la concentration des besoins ?
L’analyse statistique permet de voir qu’en termes de temporalité les réponses des acteurs se font sur le temps long : les espaces urbains et périurbains enregistrent une moindre baisse des actions. Cela s’est traduit en termes de corrélation positive entre les pourcentages d’actions déclinées et les pourcentages de personnes âgées à risque de fragilité (plus élevés en espaces urbains et périurbains), et négative entre pourcentages d’actions déclinées et pourcentages de score moyen de fragilités (plus élevés dans les espaces ruraux) à l’issue d’une analyse factorielle des correspondance (AFC).
Le temps court nécessiterait de prendre en compte les espaces ruraux où les personnes âgées sont beaucoup plus fragiles. Cette temporalité est probablement effectuées mais ne peut être mesurée sans les données relatives aux GIR, aux données des bénéficiaires. Il s’agirait pour cela de mesurer une équité en fonction de ces territoires spécifiques.
Mais on peut se demander au-delà du temps long : dans les cas où les instances reçoivent des projets conçus par les acteurs locaux, est-ce un facteur de résilience territoriale à savoir qui prendrait en compte cette donnée temporelle, ou est-ce la traduction des relations entre l’offre et les besoins concentrés spatialement ? Pour faire un parallèle entre offre et demande du secteur privé marchand ?
Les structures de l’économie sociale et solidaire, relevant du secteur privé non marchand sont celles qui sont le plus intervenues dans les différents espaces. Elles sont avec les centres communaux d’action sociale (CCAS) celles qui répondent aux appels à projets pour décliner ces actions collectives de prévention. Leurs actions se sont révélées complémentaires pour répondre au mieux aux besoins des territoires. Le rôle de la CFPPA est en cela de répartir les actions présentées par ces acteurs locaux, mais aussi de les accompagner dans les territoires afin de prendre en compte cette complexité de la résilience : sorte d’« […] agrégation de plusieurs temporalités » (Bernardie-Tahir, 2011).
En conclusion, l’organisation spatiale de la solidarité dans le domaine de la prévention des acteurs locaux se fait selon un schéma centre-périphérie, majoritairement par les acteurs de l’ESS de l’ « axe actif central » de Schoelcher à Trinité, vers les différentes périphéries : les espaces périurbains comme les espaces ruraux. Ces derniers ont des acteurs publics plus porteurs d’initiative notamment dans le nord, que dans les autres types d’espaces. Des villes-relais apparaissent dans l’organisation spatiale : Basse-Pointe et Morne-Rouge au nord et Rivière-Salée au sud. Sur la période 2017-2020, l’espace rural a obtenu le plus d’actions (47%) à quasi égalité avec l’espace périurbain (42%), les 11% restant revenant à l’espace urbain.
Si sur la durée le nombre de projets diminue, les actions sont tout de même maintenues dans les territoires concentrant un fort score moyen de fragilité, mais avec des variations annuelles ; la plus forte baisse de 2019 s’est faite au détriment de l’espace rural et au profit de l’espace urbain, quand les augmentations de déclinaisons d’actions se sont faites au profit de l’espace rural en 2018 et 2020. Les espaces ruraux bénéficient bien de la solidarité territoriale, mais la résilience des acteurs locaux (CCAS, ESS) qui prennent en compte cette donnée du temps court (score moyen de fragilité) à l’échelle des EPCI prennent aussi en compte le temps long (pourcentages élevés de personnes à risque de fragilité). L’espace insulaire martiniquais a vu se construire des dynamiques spatiales périurbaines combinant voire agrégeant des solidarités sur les temps courts et longs.
Bibliographie
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· Jalabert L., 2007, La colonisation sans nom, La Martinique de 1960 à nos jours, Les Indes Savantes, Paris.
· Rouyer A., Rumeau L., 2007, « Dispositifs gérontologiques locaux et territoires : un rapport en mutation », in Territoires en action et dans l’action, Rennes, PUR.
· Taglioni F., 2003, Les petits espaces insulaires et leurs organisations régionales, HDR Géographie. Université Paris-Sorbonne – Paris IV, tel-00006995v1.
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[1] Taglioni F., 2003, Les petits espaces insulaires et leurs organisations régionales, HDR Géographie. Université Paris-Sorbonne – Paris IV, tel-00006995v1.
[2] Le terme de grandes personnes est couramment employé pour désigner les personnes âgées, traduction littérale du créole gran-moun.
[3] Angeon V., Saffache P., 2008, « Les petites économies insulaires et le développement durable : des réalités locales résilientes ? », in Études caribéennes, Petits territoires insulaires et développement durable, 11/2008, Paris, Éditions Publibook Université, Collection Sciences Humaines et Sociales, Série Géographie, Consulté le 12 octobre 2009, http://etudescaribeennes.revues.org/document3443.html.
[4] L’Interregime est constituée de l’Assurance Retraite, de la MSA et de la RSI.
[5] Bernardie-Tahir, L’usage de l’île, Editions PETRA, Paris 2011.
[6] Le caractère urbain/périurbain/rural des communes reprennent les critères de la ZAAV 2020 définis par l’INSEE. Cette définition se base sur l’attractivité des villes qui est mesurée en fonction du nombre d’emplois et de la densité des pôles, et des actifs sortants (> 15%) des communes périphériques constituant la zone d’influence, couronne.
[7] Desse M., 1998, « Les nouvelles formes de polarisation urbaine en Guadeloupe, Martinique et Réunion », in Cahiers de géographie du Québec, vol. 42, numéro 116, consulté le 18 juin 2021, https://doi.org/10.7202/022738ar.
[8] Jalabert L., 2007, La colonisation sans nom, La Martinique de 1960 à nos jours, Les Indes Savantes, Paris.
[9] Dumont G.-F., 2006, « Tendances et perspectives de la gérontocroissance urbaine. Le nombre des personnes âgées s'accroit fortement là où elles sont proportionnellement moins présentes. », in Les Annales de la recherche urbaine, L’avancée en âge dans la ville, n°100, pp. 38-42, consulté en ligne le 1er mai 2019, https://www.persee.fr/doc/aru_0180-930x_2006_num_100_1_2644.
[10] Observatoire des fragilités du sud, http://www.observatoires-fragilites-grand-sud.fr.
[11] Rouyer A., Rumeau L., 2007, « Dispositifs gérontologiques locaux et territoires : un rapport en mutation », in Territoires en action et dans l’action, Rennes, PUR.
[12] GIR : groupe iso-ressources ; sont les niveaux de dépendance de la grille Aggir utilisée par les Conseils départementaux pour évaluer le degré de perte d’autonomie des personnes âgées.


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